Fin juillet, Nounou m'annonce qu'elle prend sa retraite. Je lui dis que je la comprends mais que je ne peux pas m'empêcher de le regretter. Notre puce avait 3 mois et demi quand nous l'avons confiée à Nounou pour la première fois.
Nounou t'aimait bien. Tu la faisais rire avec tes inquiétudes de papa poule, ta timidité, ton côté attentionné. Elle nous ramenait toujours un cadeau quand elle revenait de vacances et à chaque fête du l'Aïd el kebir nous avions droit à nos morceaux de moutons. A Noël, nous ne l'oubliions jamais dans notre liste de cadeaux. Nounou est venue chez nous quand je lui ai annoncé ton décès. Elle a tenu ta maman dans ses bras, quand celle-ci a enfin, pour la première fois, éclaté en sanglots. Tout de suite, alors que notre puce commençait à aller au centre de loisirs, elle m'a proposée de recommencer à la garder et pour une somme symbolique. Je ne peux pas m'empêcher de penser à elle sans la bénir et sans lui souhaiter tout le bonheur du monde.
Bien entendu, Nounou n'a pas pris la décision d'arrêter de travailler sans prendre le soin de me confier à quelqu'un d'autre. «Vous êtes comme ma fille». Je n'ai pas osé lui répondre que j'aurais bien aimé qu'elle soit ma mère. Ce quelqu'un d'autre, c'est Tata N. Nounou l'a connue dans le parc en bas de chez elle. Tata N. était coiffeuse. Elle a arrêté de travailler quand elle a accouché d'une petite fille prématurée. Puis elle n'a pas voulu retrouver le monde du travail pour rester auprès de sa petite. Femme de caractère, Nounou a enjoint Tata N. de travailler et de devenir à son tour assistante maternelle. Un bon moyen pour ne pas dépendre d'un homme tout en pouvant s'occuper de ses enfants, lui a expliqué Nounou.
Le contact a été plutôt bon entre Tata N. et moi. Il a été bon aussi entre elle et notre fille. Un seul hic pourtant. En tant que débutante, Tata N. devait impérativement suivre une formation en août avant de commencer à travailler. Comme, il fallait absolument que notre fille soit gardée à la rentrée, nous avons convenu que je ne la déclarerai pas tant qu'elle n'aurait pas son agrément. Cela ne m'arrangeait pas financièrement car cela signifiait que je n'aurais pas d'aide de la CAF et pas d'avantage au niveau des impôts. Mais comment faire autrement?
Tata N. a fait sa formation début septembre et a accueillie notre fille ainsi qu'une autre petite à la même période. Mi septembre, Tata N. nous a annoncé que sa fille étant âgée de 2 ans, elle comptait pour un enfant en terme d'agrément et qu'elle ne pourrait plus garder qu'une seule petite. Devant ma tête effarée, elle m'a certifiée qu'elle ferait un courrier pour expliquer que nous les parents étions dans le besoin et qu'elle souhaitait garder les deux enfants. Je lui ai expliqué ma situation, mon besoin impératif d'avoir quelqu'un pour garder notre fille, mon manque de temps pour trouver quelqu'un d'autre, les conséquences d'une nouvelle séparation pour notre fille, ...Elle a hoché la tête en signe de compréhension.
Régulièrement, je lui ai demandé des nouvelles pour la suite des évènements. Je n'ai pas osé lui demander qui elle choisirait, si sa demande était refusée. J'aurais dû.
Vendredi 25 novembre 2011, 19 h. Tata N. m'annonce qu'elle a reçu une réponse à son courrier. La réponse est négative. elle ne peut garder qu'une seule des deux petite. Je suis catastrophée. «Qu'est-ce que vous allez faire?», «Je sais pas» me répond -elle les yeux baissés, visiblement très mal à l'aise. Je n'arrive pas à lui dire qu'il faut qu'elle se décide très vite afin que l'autre famille et moi-même puissions réagir. Je lui reparle de ma situation, de mes horaires de travail, de mon combat seule, de mon besoin impératif que ma fille puisse être gardée.
Il y a des tas d'assistantes maternelles qui peuvent la garder
Mais je n'ai pas le temps de partir à la recherche de quelqu'un d'autre. On est le 25, d'ici le 25, je n'aurai pas le temps, de trouver quelqu'un d'autre...
Si vous voulez, je peux demander autour de moi
Je ne vois pas à qui elle peut demander puisqu'elle ne connaît personne. Je réalise avec horreur que son «Je ne sais pas» était un mensonge. Elle a déjà fait son choix. Je comprends à ses balbutiements, à ses yeux baissés, à ses phrases non terminées, qu'elle préfère avoir affaire à un couple et sa petite fille qu'avec une veuve et son orpheline. Une partie de moi me dit qu'elle a raison. Je ne suis rien et eux représentent la stabilité, le confort, l'assurance d'être payée. Une autre partie de moi a envie de se laisser couler en pleurant. "Il vaut mieux être jeune, riche, beau et bien portant que vieux, pauvre, moche et malade." C'est affreux les personnes dans le malheur et puis ça peut être contagieux. Je prends la main de ma fille et nous partons dans le froid sans que j'arrive à prononcer une parole. Dans la rue, j'explique à notre fille qu'elle ne verra plus Tata N. Notre puce ne comprend pas pourquoi et se met à pleurer. «Elle m'a pas choisie parce qu'elle m'aime pas?» , «Ce n'est pas ça ma chérie mais tu sais, toi et moi, il faudra qu'on se batte sans arrêt pour continuer à vivre normalement. On va y arriver toutes les deux, tu verras. On va s'en sortir». Aussitôt, je décide que le weekend se passera bien.
Hier soir, les relations ont été froides entre Tata N. et moi. Je n'osais ni la regarder ni lui parler. Elle était plus gênée par ma froideur que par la situation. J'ai eu l'impression qu'elle était soulagée que j'ai compris toute seule, sans qu'elle ait eu besoin de me le dire clairement.
Ce soir , je suis arrivée chez elle en me raisonnant. "Après tout, elle ne m'a rien dit directement. C'est moi qui ai interprété ses paroles. Peut-être qu'elle n'a pas fait son choix. Peut-être..."L'autre maman était déjà là quand je suis arrivée chez Tata N. Nous sommes reparties ensemble. «Vous avez trouvé quelqu'un?» m'a t-elle demandé et aussitôt, elle me raconte comment Tata N. lui a annoncé dès le jeudi, soit la veille où elle m'en a parlé, que c'est sa fille qu'elle garderait. Ainsi son «Je ne sais pas» était bel et bien un mensonge! En plus, elle a attendu la veille du weekend pour non pas me l'annoncer ouvertement mais pour parler à demi-mots, pour faire des sous-entendus. C'est plus fort que moi, j'explose. L'autre maman, ne sait rien faire d'autre que de me répéter, «Elle n'a pas le droit de garder votre fille, sa fille compte pour un agrément». J'ai beau lui répéter qu'elle n'a pas plus le droit de garder la sienne, elle ne fait que me redire encore et encore «Elle a qu'un seul agrément». Je finis par lui crier que cette assistante maternelle est malhonnête, qu'elle avait déjà fait son choix depuis la veille, qu'elle m'a menti, qu'elle m'a mise au pied du mur une veille de week-end et encore, sans avoir le courage de me parler clairement. Qu'elle ait fait un choix soit, il fallait qu'elle choisisse mais qu'elle mente, c'est malhonnête!
J'étais folle de rage quand je suis rentrée ce soir. J'étais fermement décidée à lui dire ma façon de penser demain. Finalement, je me suis ravisée. Je sais que le mercredi, Tata N. ne se lève que pour recevoir notre fille. Chaque semaine, je vois à ses yeux bouffis, à ses bâillements et à sa tenue négligée, qu'elle n'est sortie du lit que quelques minutes avant de nous ouvrir la porte. Un grand calme s'est brusquement fait en moi. Ma colère est partie comme elle venue. J'ai proposé à notre fille de l'emmener à mon travail demain.
- Comme ça, on passera la journée ensemble toutes les deux
- Il faudra que tu préviennes Tata N. que je viens pas
- Non, pas besoin! On lui mettra son chèque dans sa boite aux lettres mais on ne lui dira rien.
- C'est parce qu'elle est une menteuse que tu veux pas lui dire ?
Notre fille qui a les oreilles qui traînent partout a capté ma colère et ma déception. Je lui assure qu'il n'en est rien pourtant je jubile à l'idée que la grognasse va sortir de son lit exprès pour nous et va nous attendre en vain.
De là où tu es, je sais que tu trouves cela petit, idiot, une basse vengeance qui ne sert strictement à rien. Tu as parfaitement raison. C'est petit, c'est mesquin et ça ne changera strictement rien à l'affaire. Mais c'est la seule chose qui m'a calmée ce soir. Cette idée saugrenue, digne d'une gamine de 15 ans. Mais après tout, je ne suis rien. Rien qu'une misérable veuve.