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A mon prince disparu
A mon prince disparu
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23 novembre 2009

Les mêmes

Ce n'est pas la première fois qu'elle me demande si ça va. Ce n'est pas la première fois que nous sommes seules toutes les deux. C'est la première fois que je ne lui souris pas et que je lui dis que parfois dans  la journée, je peux aller très mal. Pourquoi lui dire cela maintenant? Je ne sais pas. Cela me paraît naturel au moment où je le dis. Je vois son regard s'arrêter sur moi et son sourire se figer. Elle a l'air d'attendre quelque chose. Je lui dis que l'organisation de ma nouvelle vie se fait petit à petit. Les choses se mettent en place grâce à la générosité de nos proches, famille et amis qui à travers leurs gestes, témoignent de l'amour qu'ils continuent à te porter. Ce n'est pas cela le plus difficile lui dis-je. Le plus difficile, c'est ton absence. Savoir que je n'entendrai plus ta voix, ne toucherai plus ta peau, ne me disputerai plus avec toi, ne ferai plus de projet où tu seras présent, ne poserai plus ma tête sur ton épaule. C'est cela qui m'est insupportable. Alors elle se met à me parler. Dès qu'elle commence, je comprends qu'elle attendait cela depuis mon retour.

Sa sœur jumelle est morte il y a 10 ans. Elle s'est suicidée car  elle n'avait pas la force de supporter certaines épreuves de la vie. Elle me raconte qu'avant de passer à l'acte, sa sœur l'a appelée mais qu'elle n'a pas entendu le téléphone. Mon cœur s'accélère. J'ai fait le choix de ne rien dire sur les causes de ton décès. Je veux garder un lieu où je puisse penser à autre chose et ne pas parler de ton geste. Je l'écoute et sa douleur devient la mienne. Nous parlons le même langage. Elle me parle de culpabilité, de douleur qui persiste malgré le temps, des souvenirs qui reviennent sans crier gare. «Je me sens comme amputée». Cela sort de sa bouche mais c'est ce que je ressens. Je lui réponds que tant que l'on n'a pas été confronté à la mort d'une personne aimée, on ne sait pas ce qu'est la douleur. On continue à vivre mais il y a avant et après. Je sais au moment où je lui parle que c'est avec son cœur, là où est placée sa douleur, qu'elle m'écoute.

Pour la première fois, elle a arrêté d'être ma directrice. Elle était une femme, être de souffrance face à moi. Nous étions égales dans la douleur. Cela n'a duré que quelques minutes. Juste le temps de partager notre fardeau. Nous n'étions pas sur notre lieu de travail. Nous étions ailleurs, en dehors du monde des vivants, dans un monde indescriptible que seules les personnes endeuillées connaissent.

Nous avons repris nos identités professionnelles. Elle ma chef, moi sa subordonnée. Nous avons repris nos tâches mais dans ce moment que nous avons partagé nous avons été les mêmes.

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Commentaires
M
Amputées, c'est bien ce que que nous sommes avec la disparition d'un être aimé.<br /> Un peu de courage pour vous.
A mon prince disparu
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