Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A mon prince disparu
A mon prince disparu
Derniers commentaires
18 avril 2010

Papa et maman

Cette nuit j'ai rêvé que mon père était mort. Je marchais dans la rue de la cité où j'ai grandi et je me rappelais tout à coup que mon père était mort et enterré. Cela ne me faisait ni chaud ni froid. Je ne le regrettais pas et il ne me manquait absolument pas. J'avais juste un regret : ne pas lui avoir jeté à la figure tout le mal qu'il nous avait fait mes sœurs et moi. Brusquement, je m'arrêtais de marcher. Je me rappelais que ce n'était pas mon père qui était mort mais toi, mon prince. C'est toi qui étais enfermé dans un cercueil et dont j'avais préparé les obsèques. Une angoisse montait en moi qui m'a réveillée. 4H30 du matin. J'ai réussi à me rendormir. Un rêve certainement intéressant pour un psychanalyste.

Ta maman est venue chercher notre puce ce matin. Comme toujours, toutes les deux étaient ravies de se retrouver. Notre puce lui a montré son «cahier de vie», son costume de zèbre et ses derniers dessins du trimestre. Moment de partage et de joie. Notre puce ayant eu l'autorisation de regarder quelques dessins animés avant son départ, je me suis retrouvée seule à la cuisine avec ta maman. Je lui ai répèté ce que notre puce me dit de temps en temps «Mon frère, celui qui est mort...», «Moi, Ma sœur elle est morte», «Toi maman t'as pas de mari», «Comment c'est quand on est mort?», «Comment ça s'écrit mourir?»...Ta maman me fait remarquer avec raison que souvent les enfants s'inventent des frères et sœurs. «Oui, sauf que les siens sont morts». Nous convenons toutes les deux que c'est une bonne chose que notre puce exprime ses interrogations sur la mort et que je l'écoute et lui réponde.

 

Avant que ta maman et ta fille ne s'en aillent, nous sommes allées toutes les trois sur ta tombe. Il faisait chaud et le ciel était bien dégagé. Un temps comme je l'aime. En revenant de la fontaine où je venais de remplir mon arrosoir, j'ai pris le temps de les regarder toutes les deux. Ta mère et ta fille assises au pied de ta tombe et plantant les fleurs apportées par ta maman. Elles étaient très mignonnes toutes les deux, concentrées sur leurs fleurs, avec toi à la fois fils et père, présent en chacune d'elles. Ta maman parlait, parlait et parlait. Elle remplissait le silence par ses mots. Moi, cela ne m'aurait pas gênée que nous ne parlions pas. Jamais je ne me suis sentie mal dans ce cimetière, ni devant ta tombe. C'est un très beau cimetière, récent et toujours fleuri. La gardienne qui a perdu son fils, âgé d'une vingtaine d'années, est très chaleureuse. Deux femmes sont passées devant nous au moment où nous nous apprêtions à partir. Je leur ai dit bonjour mais elle ne m'ont pas répondu. Cela ne m'a pas choqué. Même joli, le cimetière est le lieu où se rencontrent des personnes marquées par l'absence et la douleur. «Au revoir papa, je pars en vacances.» La voix enfantine de notre fille les a fait s'arrêter et se retourner. «Pauvre petit bout !» Quand deux chagrins se rencontrent...

Le départ a été difficile pour notre puce. Nous nous sommes séparées devant le cimetière. Ta maman sait que j'aime rentrer à pied après m'être rendue sur ta tombe. Notre puce pleurait tandis que je l'attachais sur son siège. «Je veux voir ma maman, je veux ma maman». Ces simples mots m'ont rempli le cœur de joie. «Ma maman» ressemble à une friandise dans la bouche de ma fille. Chaque fois qu'elle le prononce, j'ai l'impression d'être un bonbon. Chaque fois qu'elle se jette dans mes bras, je plains ma mère. Je la plains d'être passée à côté de cela. Elle ne saura jamais à côté de quoi elle est passée. Ma colère contre elle s'est presque transformée en pitié depuis la naissance de notre puce.

En rentrant, c'est à ta maman que j'ai pensé. Je l'ai vu pleurer trois fois dans la semaine qui a suivi ton décès. La première fois, elle était au téléphone et parlait à son frère dont la fille, ta cousine, s'est suicidée aussi à l'âge de 23 ans. La deuxième fois, c'était le jour de mon anniversaire, la veille de tes obsèques. Elle est la seule à y avoir pensé. Cela m'était complètement sorti de la tête. La troisième et dernière fois où je l'ai vue pleurer, c'était dans la chambre mortuaire, devant ton cercueil, juste avant que nous nous rendions à l'église. Depuis, rien. J'ai mis du temps avant de comprendre que lorsqu'elle me disait «Tu n'as pas le droit de craquer»,«Il faut que tu tiennes, tu n'as pas le choix», «Toutes façons, tu continueras, t'as pas le choix», c'est à elle que ces injonctions étaient adressées.

Tu aimais beaucoup ta maman et c'est normal. C'est une «vraie» maman avec ses qualités et ses défauts mais une maman bienveillante et plein d'amour pour ses enfants. Quand je te racontais certaines anecdotes de ma vie, tu reconnaissais que tu avais eu la chance d'être aimé et respecté. En décembre, j'avais parlé à ta tante Hélène, la sœur aînée de ta maman. Je lui avais fait part de mes inquiétudes concernant ta mère. Je ne crois pas que le mécanisme de défense qu'elle a mis en place, se blinder, s'interdire de pleurer ou de craquer, soit bon. Je suis sûre que sa souffrance va s'extérioriser un jour ou l'autre et certainement de manière brutale. J'ai peur pour elle. Ta tante a promis de veiller sur sa petite sœur.

 

Je me suis arrêté pour regarder les roues arrière de la voiture qui emmenaient ta maman et notre fille. «Je te les confie mon prince, prend bien soin d'elles».

Publicité
Commentaires
A mon prince disparu
Publicité
Archives
Publicité