Angoisse, fatigue et mensonges
4h13. Je suis réveillée depuis 10 minutes. La journée d'hier a été particulièrement épuisante mais moins éprouvante que ce que j'avais imaginé.
Hier, a eu lieu la réunion contradictoire avec le Dr W., cette fameuse psychiatre qui t'a laissé sortir et qui a écrit noir sur blanc dans ton dossier que c'est moi qui avais refusé que tu restes hospitalisé.
Mercredi 25 juin 2010.
Je suis sur la plage avec notre puce. Elle fait des châteaux de sable. J'écoute le bruit des vagues. Mon portable sonne. J'hésite une demi seconde avant de décrocher.
Allo Madame, ici le Dr C. de la CRCI, je vous appelle dans le cadre de la prise en charge de M....
(La prise en charge de M....Mais il est mort!) Oui?
A cause du bruit des vagues, je le fais répéter plusieurs fois son discours. Je ne sait pas ce qu'est la CRCI. «C'est la commission de conciliation pour les victimes d'accidents médicaux». Je lui explique que je suis aux Canaries pour essayer de me détendre et de prendre un peu de recul par rapport aux évènements. Il est compréhensif et s'excuse. «Je voudrais juste savoir si vous serez rentrée fin juillet, parce qu'il va y avoir une réunion dans le cadre du principe de contradiction». Oui, bien sûr, je serai rentrée. Oui bien sûr, je serai présente à la réunion. Nous prenons congé après qu'il se soit de nouveau excusé pour le dérangement. Une réunion? Le principe de contradiction? Je chasse cette idée de mes pensées. Pour le moment, je suis aux Canaries avec ma puce.
Lundi 5 juillet 2010.
Les vacances sont presque terminées. Je me rends à la poste pour aller chercher un courrier en recommandé. C'est une grande enveloppe de la CRCI. Je ne l'ouvre que le lendemain. Je suis convoquée le lundi 26 juillet 2010 dans un autre département, pour une réunion dans le cadre du principe de contradiction. J'ai 5 jours à partir de la réception de ce courrier pour envoyer à la «partie adversaire» les documents qui me serviront à débattre. La course contre la montre commence.
Mardi 6 juillet 2010.
30 minutes après la lecture du courrier, j'envoie un mail à l'association qui m'a aidée à faire un recours contre le Dr. W et leur demande de m'assister car je n'aurais pas la force d'y aller seule. Étant donné la fourberie du Dr. W, je préfère être accompagnée. La réponse arrive 2h30 plus tard.
«Notre Association ne peut être à vos côtés le jour de l'expertise car nous sommes membres de la CRCI.
Il serait souhaitable de vous faire assister d'un médecin qui connaissait votre mari son psychiatre par exemple surtout n'y allez pas seule, la partie adverse sera représentée par un avocat et un représentant de sa compagnie d'assurances. Je pars en fin de semaine n'hésitez pas à me contacter si vous voulez parler avec moi de l'expertise on peut convenir d'un rendez vous téléphonique »
L'angoisse que j'essaie d'étouffer depuis les vacances explose. Je reprends le travail le lendemain, il faut que je tienne.
Mercredi 7 juillet 2010.
Je sors de mon bureau et depuis la rue, j'appelle le Dr L. qui t'a fait hospitaliser en urgence. Je lui explique ma situation. Il refuse d'intervenir en arguant du principe du secret professionnel et que cela peut se retourner contre lui. Je renonce à téléphoner au Dr D. ton psychiatre.
A bout de force, je ressors dans la rue quelques minutes plus tard. Ma directrice qui fume une cigarette me lance un sourire de sympathie auquel je réponds gentiment. Il faut que je fasse attention, je n'ai aucune envie d'avoir des ennuis au boulot. Mme J. la juriste qui a répondu à mon mail m'informe que le Dr L. sait parfaitement que dans ce cadre précis, il ne sera pas tenu par le secret professionnel. «Il n'a pas voulu se mouiller c'est tout. Vous savez, il y a une grande solidarité entre les médecins...Je vais essayer de vous trouver un avocat, en espérant qu'il ne sera pas en vacances. Pas cette après-midi parce que je suis en réunion mais j'essaie de vous rappeler demain». Je crois que c'est à ce moment là qu'une grande fatigue s'est abattue sur moi.
Samedi 11 juillet 2010
Notre puce et moi nous rendons à la poste pour envoyer toutes les pièces de mon dossier à la partie adverse. Nous sommes dans les délais.
Jeudi 10 juillet 2010
De mon poste de travail, j'ouvre ma messagerie personnelle. Mme J. m'envoie en copie le mail qu'elle a adressé à Maître D. Elle me donne ses coordonnées. Je sors l'appeler. Je croise à nouveau ma directrice dans la rue avec sa cigarette. Mêmes échanges de sourire. Maître D. est absent. Il me rappellera dans l'après-midi. C'est ce qu'il fait. «Allo, madame, ici Maître D. Je peux vous recevoir lundi 19 juillet à 14h30.» Je confirme le RDV et il raccroche avant même que j'ai pu lui expliquer la raison de notre rencontre. Je suis épuisée mais le temps court toujours.
Lundi 12 juillet 2010
Je me permets d'envoyer un mail à Maître D. pour lui expliquer l'urgence de la situation.
Lundi 19 juillet 2010
La secrétaire de Maître D. m'informe que notre RDV est déplacé à 16h30. Je continue à rire et plaisanter avec mes collègues.
16h30. Maître D. me fait une très bonne impression. Je repars un peu moins crispée. Il accepte mon affaire, sera présent avec moi le 26 juillet. Je respire. Je ne serai pas seule!Sur le seuil de la porte, il me redit ce que m'a dit la juriste «Les médecins entre-eux sont très solidaires»
Le soir-même, je téléphone à ta sœur Gaétane qui est en vacances. C'est elle que le Dr. W a contacté lors de ton hospitalisation. Elle est la seule a avoir eu un contact avec ce psychiatre. Elle accepte aussitôt d'envoyer les attestations nécessaires. Pour gagner du temps, elle les enverra elle-même depuis son lieu de vacances. Elle aussi a été très affectée par l'attitude et les mensonges de ce médecin. Ta maman m'appellera tout au long de la semaine pour me soutenir.
Mardi 20 juillet 2010
Je me résous à appeler mes parents pour que le jour J, ils puissent garder notre puce. Je ne sais pas combien de temps va durer la confrontation et je n'ai pas d'autres choix que de faire appel à eux. Je suis brève. Ils acceptent sans poser de questions.
Mercredi 21 juillet 2010
J'ai fait toutes les photocopies nécessaires sur mon lieu de travail. Fabienne, la seule de mes collègues qui est au courant des circonstances de ton décès, a fait le guet devant la porte. J'irai porter ces documents le lendemain au bureau de Maître D. Grâce à lui, mon dossier est logique et tient la route. J'ai toutes les preuves de ce que j'avance. La fatigue me tue.
Samedi 24 juillet 2010
Je traîne comme un zombi. Le téléphone sonne. Maître D. me demande de contacter le Dr. D ton psychiatre. Ce dernier accepte d'emblée et me donne RDV le lundi suivant pour venir chercher les attestations nécessaires.
Lundi 26 juillet 2010
9h15. C'est la première fois que je vois le Dr D. dont tu m'as si souvent parlé. C'est étrange de mettre enfin un visage sur une personne dont on a entendu parler depuis des années. Le Dr D. n'a pas préparé les documents demandés. Il les écrit devant moi. Je serai donc très en retard au boulot. Je me rassure en me disant que c'est les vacances et que peu de personnes s'apercevront de mon retard.
12h30. Avant de partir, Fabienne me soutient et ses mots me font du bien. Je dois prendre un train et deux bus pour me rendre sur le lieu du RDV. J'avais une peur bleue d'être en retard. La convocation spécifiait bien qu'il fallait être présent à 16 heures précises. C'était écrit en gras et souligné. Maître D. souhaite que l'on se voit entre 15h30 et 15h45.
J'arrive à 14h30. Je traîne dans les rues et me renseigne sur les horaires de bus du soir. Je ne sais pas combien de temps cela va durer. Je crains le pire. Je rentre dans le bâtiment où aura lieu la réunion pour y vomir. Puis je ressors m'aérer. Je pense à toi, à nous, à notre fille. L'amour que nous avons partagé me porte. Je me réfugie en toi pour ne pas vomir une deuxième fois. Mon téléphone sonne. C'est mon père. Il a oublié le nom de l'assistante maternelle qui garde notre fille. Avant de raccrocher, il me dit «Courage, ma fille». Je suis très touchée par cette attention. Mon père n'oublie jamais un nom.
15h56. Les entrailles nouées, j'appelle maître D. qui n'est toujours pas arrivé. Et si il lui était arrivé quelque chose? Pas de quoi s'inquiéter, il est sur le parking.
16h10. Une personne de la partie adverse arrive. Pas d'avocat ou de représentant de la compagnie d'assurance. Simplement un médecin conseil de l'hôpital, fort courtois d'ailleurs. Le Dr W. est en vacances.
16h35. La réunion commence. Les experts désignés sont un médecin spécialiste (neurologue? Gastro-entérologue? J'ai oublié) et une psychiatre. Autant je sens que le médecin spécialiste est de mon côté autant la psychiatre, par principe, soutient sa collègue. Le Dr W. n'a rien d'autre comme argument ou comme preuve qu'un document écrit où elle relate les faits à sa manière. Mon avocat et moi y relevons toutes les contradictions. Pour chacun de ses mensonges, j'ai une preuve soit dans ton dossier médical soit dans les pièces que j'ai rajoutées. Bien qu'il essaie de rester neutre, le médecin spécialiste souligne également les incohérences dans le discours du Dr W. La psychiatre, elle, n'en démord pas. Sa confrère a fait de son mieux et ne pouvait faire plus. Je lui demande pourquoi le Dr W. ment puisqu'elle a bien agit. Elle ne me répond pas. Maître D. est excellent dans ses propos comme dans sa prestation. Le médecin conseil est un peu effacé mais il a la psychiatre pour lui.
17h45. La réunion est terminée. Les experts écriront un rapport suite à cette rencontre. Je serai à nouveau convoquée et ne disposerai que de deux minutes maximum pour m'exprimer. Je reprends mon train vannée mais pas cassée. Je vais rejoindre notre bébé. J'ai besoin de ses bras autour de mon cou.