Encore une victoire
J’ai toujours eu peur de conduire. Je sais à quoi cela est dû. Je sais
d’où viennent toutes mes angoisses, voire mes terreurs. J’ai toujours
considéré la voiture comme un objet de mort, un objet qui pouvait faire
très mal. A l’idée de prendre le volant, ce sont toujours les mêmes
images d’épouvante qui me reviennent : me retrouver tétraplégique,
briser la vie des personnes qui voyageraient avec moi ou qui
croiseraient ma route. J’ai toujours en tête l'idée que au volant, tout peut
basculer en une seconde. Tu avais compris que mon enfance et mon
adolescence m’avaient laissé des séquelles.
Je n’ai pas eu de
problèmes à avoir mon code. J’ai toujours été très scolaire.
J’apprends, j’approfondis, je m’imprègne de la théorie. Alors que toi
tu avais eu du mal à avoir ton code, pour moi, cet examen n’était qu’un
exercice de travaux pratiques. Par contre pour la conduite ….Tu as eu
ton permis du premier coup. Peu de personnes savent combien de fois, je
l’ai passé. J’ai fini par l’avoir, un jour où je m’étais rendue à
l’examen non pas pour « avoir mon permis » mais – c’était devenu une
blague - pour aller le rater.
J’avais repris des cours de conduite quelques mois avant notre mariage. Fabrice, le moniteur très sympathique de l’auto-école, avait fini par me dire qu’il ne pouvait rien pour moi. Il était formé pour apprendre à conduire, ce que je savais faire, mais pas pour traiter les angoisses des élèves.
Avec toi, j’avais re-essayé en faisant des petits trajets de plus en plus longs. Tu avais fini par me hurler de laisser tomber quand tu t’étais rendu compte de l’ampleur des dégâts.
Il y a deux ans, j’avais
trouvé un psychothérapeute, spécialisé en thérapie
cognitivo-comportementale, qui m’avait aidé à prendre conscience des
séquelles de mon histoire familiale. A sa demande, nous allions
tous les dimanches sur le parking du supermarché et je m’entraînais à faire des marches
arrière et marche avant. Le but n’étant pas de savoir utiliser les
pédales et la boite de vitesse mais de ne plus avoir de boule au ventre
en étant assise à la place du conducteur. Ces exercices étaient une
corvée pour toi. Sortir après un bon repas uniquement pour rouler d’avant en arrière dans
une voiture, n’avait rien d’amusant. Sauf pour notre puce assise à l'arrière sur son
siège bébé.
J’ai fini par sortir du parking. J’allais chaque semaine à mon cours de
danse et le week-end au cinéma, seule dans la voiture. Énorme avancée. Je ne conduisais
que dans notre ville mais c’était déjà une grande fierté. L’été
dernier- notre dernier été ensemble- nous choisissions une destination
et nous conduisions à tour de rôle. Le plus souvent, c’est moi qui
conduisais à l’aller et toi au retour. Nous étions tous les deux très
contents de mes progrès. Tu l’étais d’autant plus que ta maladie
t’épuisait. Ta souffrance était telle que physiquement tu n’avais plus
aucune énergie.Tu ne profitais pas de ces sorties. Tu les faisais
uniquement pour me faire plaisir. Affalé dans la voiture, tu étais
content de pouvoir compter sur moi.
Lundi soir, j’ai mis plus d’une heure pour me rendre aux urgences par les transports en commun. Le retour en taxi m’a coûté 32 euros. J’ai pris la décision ce même soir de retourner à l’hôpital en voiture pour l’examen post urgence de notre fille. Hier, j’ai donc installé notre fille dans son siège et me suis assise à la place du conducteur. J’ai tout de suite mis la peur qui arrivait de côté. Bien entendu, j’ai utilisé le GPS que j’ai acheté en octobre dernier et qui dormait dans un coin de la maison. Sur la route, je me suis fait klaxonner deux fois. A chaque fois c’était sur un rond-point. J’ai loupé l’entrée du parking de l’hôpital. Ai fait demi-tour. Me suis garée n’importe comment. (Nous avions travaillé les créneaux mais j’ai encore du boulot de ce côté-là !). J’ai senti une angoisse revenir sur le chemin du retour. Je l’ai combattue, je n’avais pas le choix. Le stationnement à l’hôpital ne m’a coûté que 3,60 € et le trajet en voiture ne dure que 17 minutes. J’ai réussi après 4 essais à me garer correctement en bas de notre immeuble.
Fière de mon
exploit, j’ai renouvelé l’expérience. Dans l’après-midi, nous sommes allées
à la médiathèque en voiture. Dans le parking de la médiathèque, j’ai
voulu me garer de manière à pouvoir sortir directement en marche avant.
J’ai compris en entendant un bruit que l’arrière de la voiture avait
touché le mur. Notre voiture n’a rien, pare-choc oblige. Je me suis
donc garée en marche avant sur la place libre d’en face.
J’ai emprunté
un film de Resnais que j’ai déjà vu mais dont je me souviens très peu :
Mon oncle d’Amérique. Je pense que tu aurais aimé. J’ai prévenu notre
puce que le lecteur DVD ne lui étant pas exclusivement consacré je
prenais un film pour moi. Elle a choisi le film Loulou le pou. J’ai
choisi un autre livre de Guy Gilbert que je commencerai dès que
j’aurais terminé son dernier livre, Lutte et aime, là où tu es ! Notre
puce a choisi 5 livres qui parlent tous d’animaux.
J’ai calé en sortant
en marche arrière de ma place de parking. Maman, tu sais conduire ?
Mais, oui. Pourquoi tu dis ça ? Je ne vois pas pourquoi tu me dis ça !
Notre puce a toujours autant de plaisir à me titiller concernant mes
capacités à conduire une voiture. J’ai calé en démarrant au feu vert.
Le chauffeur derrière moi ne m’a pas klaxonné et a attendu patiemment
que je fasse redémarrer le véhicule. C’est toi qui m’as appris à ne pas
paniquer quand je cale. Tu m’as appris qu’une erreur n’entraînait pas
forcément une sanction terrible.
J’ai passé l’après-midi à me remémorer fièrement mes exploits. Après les quelques gouttes de pluie du matin, le temps était agréable l’après-midi. J’ai emmené notre puce au stade où de jeunes garçons avaient leur entraînement. Près des gradins, nous avons-nous aussi joué au « football ». Notre puce était ravie de vivre avec moi ce que vous faisiez ensemble. Je suis un moins bon professeur que toi mais à ses éclats de rire, j’ai compris quel bonheur elle avait à refaire des passes et des tirs. J'ai beaucoup pensé à toi.
Continue à veiller sur nous mon prince.