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A mon prince disparu
A mon prince disparu
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22 février 2010

Un monde de paix

Ton beau-frère Lionel est venu chercher notre puce hier matin. Notre louloutte était un peu réticence lorsque je lui ai annoncé que ce n’était pas ta maman qui viendrait. « Mais je n’aurai pas de parents pour m’accompagner. Je serai toute seule ». La perspective de montrer ses 3 DVD de « L’âge de glace » à ses deux cousins lui a redonné le sourire et le courage de me quitter.

J’ai réussi à installer toute seule le décodeur que m’a envoyé SFR pour recevoir Canal +. Je n’ai jamais rien compris à toutes ses technologies. Le fait que tu t’y connaisses et t’y intéresses était reposant pour moi. Je n’avais qu’à consommer. Je suis fière d’avoir réussi à me débrouiller avec tous les fils à brancher, les rallonges à changer (mettre celle de notre chambre dans la salle de séjour et vice-versa), les cordons péritel, les câbles Ethernet. Normalement, il ne me reste plus qu’à contacter Canal + pour l’activation. Pourvu que cela fonctionne !

J’ai profité du départ de notre puce pour me faire un petit soin capillaire. J’aime bien de temps en temps me masser le cuir chevelu. Tu n’aimais pas l’odeur de ma crème coiffante et voulais que j’en change. Je n’ai pas eu le temps de te faire ce plaisir.

Je suis allée au cimetière dans l’après-midi. J’aime y aller à pied car cela me laisse le temps de méditer . Depuis que notre poussette a explosé sous le poids de notre puce, je ne m’étais pas rendue sur ta tombe. Je serais incapable de porter notre puce dans mes bras. Inutile de compter sur elle pour marcher. Il faudra que j'y aille en voiture ou sans elle. Tandis que je marchais, une image m’est brusquement apparue. J’ai vu soudain les feux arrière de notre voiture et toi au volant. J’ai repensé à ce 11 septembre 2009. Tu m’as appelé à 16h47. Je n'ai pas entendu mon portable. Notre puce et moi sommes arrivées à 16h57. Étant donné l’allure de notre puce, et qu’à cette heure nous avons dû slalomer sur le trottoir entre les parents de l’école élémentaire qui attendaient leur(s) enfant(s), nous nous sommes manqués de peu. Nous étions déjà, notre puce et moi, sur le chemin du retour quand tu as quitté la maison. Il s’en est fallu de quelques minutes. Les paroles de mes voisines musulmanes me sont revenues en mémoire « Toutes façons, vous pouvez rien y faire. Si Dieu a décidé que c’était l’heure, vous pouvez rien faire. Quand c’est son heure, c’est son heure. C’est comme ça, c’est Dieu qui décide». Ton heure était arrivée mon prince. Je n’aurais pas pu te sauver. Il était écrit que je n'entendrai pas mon portable.

Brusquement, en marchant,  je me suis souvenue. Mon verre à dents bleu avec la photo de Babar. J’avais 8 ans. C’était à cause de ma mère. Pourquoi ? Je ne sais plus quel était mon « crime ». Je me souviens simplement qu’elle s’était déchaînée sur moi et que mes larmes l’avaient excitée davantage. Je me souviens avoir pensé que c’était une fois de trop et que je n’en supporterai pas davantage. J’ai pris mon verre à dents, l’ai rempli d’eau et ai versé un sachet d’aspirine pour enfant dedans. Je suis allée m’allonger sur mon lit en attendant que la mort vienne. Elle n’est pas venue et j’ai compris au bout d’un certain temps qu’elle ne viendrait pas. Je me suis revue à 15 ans, toujours dans ma chambre, avec un couteau de cuisine essayant de me taillader les veines, rageant que ma peau fasse de la résistance. Cette fois c’était mon père  la cause de mon désir de mourir. Il y a quelques années, ma sœur Sylvaine m’a avoué qu’adolescente, lassée elle aussi de tout ce que nous subissions, avait avalé plusieurs comprimés de boites différentes. Elle en avait été malade toute la nuit. Son estomac l’avait empêchée de dormir mais elle n’avait rien dit pour éviter les représailles qui risquaient d’être pires. Je t’avais raconté tout cela et tu en avais eu les larmes aux yeux. J’avais oublié que ma sœur et moi avions voulu mourir pour abréger nos souffrances. Face à ces souvenirs que j’avais oublié, ton geste a pris une autre dimension.

Assise sur ta tombe, je t’ai longuement parlé. Je regardais la terre et pensais à ton corps terrestre enfoui en dessous. Ton squelette, tes os, la poussière où tu es retourné. J'ai imaginé mon corps dans quelques années, allongé près du tien, dans son cercueil. Cela me laisse toujours indifférente car je sais que tu es ailleurs. Tu vis toujours, loin de nos yeux d’humains et tu veilles sur chacun d’entre nous. Il faisait très froid mais le ciel était clair. Un petit soleil montrait le bout de son nez comme une promesse de jour meilleur. Je me suis promenée le long des allées. J’ai regardé les tombes rassemblées près de la tienne. Mon cœur s’est serré en voyant quelques inscriptions, Christophe (1984-2001), Brian (1997-1998), Sarah (1996-1997). Parfois seuls les âges étaient inscrits, 22 ans, 25 ans, 26 ans. J’avais presque envie de pleurer en voyant les témoignages des familles « A mon fils bien aimé », « A notre sœur », « Un ange est parti rejoindre le ciel ». La douleur n’est pas une question d’âge. Les témoignages des personnes ayant perdu leur « papy bien aimé » ou leur « grand-mère chérie » sont tout aussi bouleversants. J’ai ressenti une grande paix après avoir regardé toutes ces tombes. Absolument rien de morbide dans tout cela. Rien de malsain non plus. Après le chagrin à la pensée de toutes ces familles touchées par la douleur, c’est comme si tous ces morts réunis autour de toi me disaient « Ce n’est pas grave, tu sais. Nous sommes bien maintenant. Nous sommes avec vous tous les jours et prenons soin de vous ». Mon corps avait froid mais mon cœur s’est réchauffé. Je suis repartie avec l’espoir d’aller un jour dans un lieu où toute souffrance quelle qu’elle soit aurait disparue. Un monde de paix où tu reposes avec d’autres.

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Commentaires
M
Bonsoir<br /> votre petite approche de sa présence quotidienne a vos cotés me fait plaisir... le chemin est encore long ... mais c un petit pas ... qu il est bon de le déceler... regarder grandir votre fille ... profitez du moindre d'instant ... ne passez pas a coté de son enfance ... ces instants sont a vous ... dévorez les ... bisous<br /> Marie
A mon prince disparu
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