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A mon prince disparu
A mon prince disparu
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15 avril 2010

Les faits

Tu es dépressif depuis des années. Tu as déjà fait des tentatives de suicide, tu as même été hospitalisé. Je te rencontre en 2001 à une période où tu es en train de t'en sortir. Tu es suivi par un psychiatre le Dr D. et une psychanalyste. J'assiste à ta première grosse dépression en 2002. C'est la première fois que je fais connaissance avec cette maladie. D'autres épisodes suivront les années suivantes, beaucoup moins importants, en général en dehors de l'automne et de l'hiver. Juillet 2008, altercation avec ton ancien chef, un petit chef sadique et prétentieux. Ta dépression durera jusqu'en décembre 2008. Les symptômes reviennent fin avril 2009 : idées noires, grosse fatigue, inertie, incapacité à faire des projets,...Je suis habituée maintenant. Je prends tout en charge le temps que tu remontes la pente. En juin, tu confies ton mal-être à quelques-uns de tes amis du théâtre. Nous partons en vacances. Je fais «comme si» pour notre fille, j'assume tout, je suis touchée par tous tes efforts désespérés pour essayer de faire surface. Tu souffres le martyre mais tu luttes pour moi et notre fille.

27 août 2009. Il y a quelques jours, une sauterelle sortie dont ne sait où m'a sautée sur l'épaule. De ton travail, tu m'envoies un mail désespéré où tu me dis que tu m'aimes, que tu es un monstre, que je ne peux pas te comprendre et que personne ne peut te comprendre. Tu te déprécies même physiquement. Je suis sur mon lieu de travail, ce mail me fait horriblement mal. Je t'appelle durant ma pause déjeuner pour te dire que l'on doit parler.

Samedi 5 septembre 2009. Tu m'avoues que tu n'as pas nagé. Tu t'es bien rendu à la piscine mais tu n y es pas rentré. Tu as passé l'après-midi dans la voiture à ne rien faire.

Dimanche 6 septembre 2009. Je décide d'aller te rejoindre au parc avec notre puce. J'ai la surprise de te voir dans la voiture en train de téléphoner. Tu nous rejoins au bac à sable. Je parle avec un des voisins de l'immeuble d'en face. Nous devisons tranquillement tous les trois. Une fois qu'il est parti, tu m'annonces que ta sœur Gaétane va venir discuter avec toi. Je cherche à en savoir plus, tu te dérobes. Notre puce est couchée. Je repasse en regardant le film 7 ans au Tibet. Ta sœur a quitté sa région pour venir te parler? Elle a laissé ses enfants un dimanche soir après ton coup de téléphone? Lorsque tu reviens de votre RDV, je te renvoie mes peurs. «Elle est venue parce que je lui ai dit au téléphone que j'avais envie de me tuer». La discussion commence.

- Souviens toi de ce que tu m'as dit à propos de ton père «Il peut crever. J'irai cracher sur sa tombe.»

- Mais ça va pas, non? Je ne t'ai jamais dit ça. Et puis qu'est -ce que t'as à voir avec mon père? T'es quand même pas un monstre?

A la télévision, Brad Pitt n'a jamais vu son fils. Il a appris sa naissance par courrier. Il décide de ne pas avoir de contact avec lui.«Il vaut mieux un père mort qu'un mauvais père» dit-il.

- T'as entendu ce qu'il a dit?

- Mais c'est un film!...

Tu vas te coucher sans voir qu'à la fin du film, Brad Pitt a retrouvé son fils et qu'ensemble ils sont heureux. Demain, après le travail, tu as RDV avec le Dr. L pour une perlèche.

Lundi 7 septembre 2009. Je suis sur mon lieu de travail. Le Dr L. m'appelle sur mon portable. Suite à votre entretien, il a pris la décision de te faire admettre aux urgences de l'hôpital de SG. Une voiture viendra te chercher. Je raccroche. Ma collègue m'informe que tu es en ligne sur mon poste. Tu me redis la même chose. Je pars de suite. Tu ne peux pas aller chercher notre puce. Je dois y aller. J'attends que notre amie Mireille soit rentrée pour qu'elle vienne garder notre puce. Je lui dis que tu as été hospitalisé pour des douleurs non définies, ce qui n'est pas entièrement faux. Je pars t'emmener quelques affaires. Au services des urgences, on m'annonce que tu as été transféré dans le service de psychiatrie. Je me perds dans ces bâtiments, ces couloirs, ces escaliers mais j'y arrive. L'heure des visites est passée depuis longtemps. Un vigile et  une soignante m'accueillent à la porte. Ils vérifient tes affaires. Je repars, sans t'avoir vu, avec ton rasoir et ta bouteille d'après-rasage. Aucun objet pouvant servir à se suicider ne doit pénétrer dans le service. Pour t'appeler, je dois composer le numéro de la cabine située dans le couloir. La personne qui répondra à l'appel (ce sera à chaque fois une patiente apparemment shootée) t'appellera. La soignante me donne aussi le numéro du secrétariat. Wouah! Ce que tu as doit être grave. Quand je rentre, il est presque minuit. Il y a longtemps que la descente aux enfers a commencé mais je ne le sais pas encore.

Mardi 8 septembre 2009. Je vais te voir. Tu es calme enfermé dans ta chambre. Pour ouvrir ton armoire, tu dois en demander la clé à un soignant. On t'a pris aussi ton portable. Gaétane est passée te voir dans l'après-midi et t'a apporté de la lecture. Tu t'ennuies ferme. Tu me demandes de t'apporter ton rasoir en cachette. Je te réponds oui mais je sais que je ne le ferai pas. J'ai peur qu'un autre patient s'introduise dans ta chambre et te vole ton rasoir pour faire l'irréparable. Tu me dis que tu as vu un interne la veille qui t'a juste demandé ton nom, prénom, si tu savais pour quoi tu étais là... et c'est tout. Tes compagnons d'internement sont complètement shootés. Décidément, ce n'est pas un endroit pour toi...

Mercredi 9 septembre 2009. Je ne passe pas te voir. Je n'en ai pas le temps, tu m'as demandé d'aller chercher ton vélo qui est resté accroché chez le Dr L. depuis lundi soir. Tu me redis que ce n'est pas un endroit pour toi. La psychiatre que je n'ai jamais vue, t'a parlé d'un autre lieu mais qui se trouve à R. Tu balayes mes objections quand je te réponds que j'aurais la force de m'y rendre pour te voir, que j'irai n'importe où pour te voir. Notre puce à peine couchée, je t'écris une lettre que tu ne liras jamais mais que j'ai gardée.«3ème nuit sans toi. Notre puce dort depuis plus d'une heure enfin calmée. Pour la première fois elle t'a réclamé, m'a fait part de son besoin d'avoir son papa avec elle. Comme je te l'ai dit au téléphone, elle t'a réclamé. Ce n'était pas un caprice. Tu lui manques terriblement. Ma pauvre puce...Cela fait trois nuits que la douleur s'est bloquée dans ma gorge et que les larmes se sont arrêtées au bord de mes yeux. Premier choc. Tes idées de suicide. Pourquoi veux-tu te séparer de moi, de notre puce? Qu'est-ce qu'on va devenir sans toi? Comment peux-tu penser que nous allons te survivre comme si de rien n'était?...La prise en charge de notre puce représente un soucis  en moins grâce à la générosité de Mireille et Nounou. Je ne suis pas seule, Gaétane et ta maman sont là. Malgré la distance géographique, elles me semblent très proches de moi. Je me dis que c'est sans doute cela une vraie famille et que dans ton malheur tu as beaucoup de chance. Je n'ai pas dormi la nuit dernière, trop de tensions. Je suis morte de fatigue mais il faut que je te vois, je ne peux plus tenir...Débrouille-toi pour continuer à vivre car je te jure que je te suivrai dans la mort. Arrange toi pour me revenir ou ta fille sera définitivement orpheline...3ème nuit sans toi. Notre puce est malade je l'emmène chez le médecin demain. J'en profiterai pour poser une journée ce qui me fera du bien physiquement et psychologiquement. Il est bientôt minuit. Je voulais t'écrire. Bonne nouvelle, les larmes sont enfin sorties. Je pleure à chaudes larmes...» 

Jeudi 10 septembre 2009.

10h30. Je suis chez le Dr L. Rien de grave pour notre puce. Le Dr me demande de tes nouvelles. Je lui donne mes impressions. Cet endroit est un peu trop stricte pour toi. J'ai peur que l'on te shoote. Il a un rictus de doute. «Moi quand je l'ai vu, il paraissait déterminé. Une structure plus souple? Je n'en vois pas d'adapté pour lui. Je pense qu'il vaut mieux qu'il reste encore un peu là où il est.»

12h00. Tu m'appelles. «Je rentre», «Ah? Et tu vas où?», «Je rentre à la maison». Je suis incroyablement surprise mais mon cœur explose de joie. Tu vas rentrer!

12h30. Gaétane m'appelle. Le Dr W. l'a appelée et lui a donné des indications sur ton état. J'explose au téléphone. Je suis ta femme, je ne comprends pas pourquoi c'est ta sœur qui est informée et qui me tient au courant de ton état. Elle me donne le numéro du Dr W. que j'appelle illico. Je lui rappelle que toi et moi sommes mariés et que je tiens à être la première personne informée si besoin. «Oui, mais en fait, ça s'est fait comme ça...»Nous parlons de ton retour.

- Ce n'est pas un endroit pour lui ici

- Oui, oui. Mais en fait, je pensais qu'il irait dans une autre structure peut-être plus souple...

- Il ne veux pas y aller et je ne peux pas le forcer à y aller contre son gré.
- Oui, oui bien sûr.
L'entretien n'a duré que quelques minutes avec cette femme que je n'ai jamais vue. De ton état, elle me dit simplement que tu n'as pas besoin d'être surveillé. Tu as un arrêt maladie jusqu'à mercredi. Tu peux donc retourner travailler. Je suis très étonnée mais je lui fais confiance. Je décide de poser également ma journée de demain pour plus de sûreté. Lorsque tu rentres à la maison, ton comportement m'intrigue. Tu es léger comme tu ne l'as pas été depuis plusieurs mois. Tu appelles ta collègue pour lui annoncer ton retour mercredi. Tu me demandes d'appeler Sylvaine pour lui dire que finalement, nous irons au barbecue auquel elle nous avait invités. Pour ce soir, tu veux qu'on aille au restaurant. Je suis heureuse mais intriguée, presque mal à l'aise. Ton comportement est tellement bizarre...La soirée au restaurant se passe très bien. Notre puce est rentrée à l'école la semaine d'avant. En petite section de maternelle, elle est fière de nous montrer avec son pouce la première comptine que sa maîtresse lui a appris. Le soir dans notre lit, tu m'affirmes que tes idées de suicide sont définitivement parties. Je te dis que je ne pourrais pas continuer sans toi. Tu me regardes avec ironie : «Tu vas te suicider?» , «Moi je ne peux pas vivre sans toi !». Je te montre la photo de notre mariage accrochée au dessus de notre lit. Tu as un sourire triste.

 

Vendredi 11 septembre 2009. Je me réveille en sursaut. J'ai vu se pencher vers moi, le type qui m'a agressée physiquement il y a quelques années et qui m'a longtemps harcelée ensuite. Il est mort depuis plusieurs années déjà mais j'ai vraiment eu l'impression qu'il était dans notre chambre et qu'il se penchait vers moi. Horrible, pas vraiment un cauchemar, pire que cela.Tu me demandes à rester seul dans notre chambre avec notre puce que tu sers dans tes bras. Je l'emmène ensuite à l'école et toi tu iras la chercher le soir. Cela vous fera du bien à tous les deux.

10H00. Je t'embrasse sur le pas de la porte. Tu te rends dans l'après-midi à la pharmacie avec l'ordonnance que t'a donné le Dr. W lors de ton départ.

20H00.J'appelle le commissariat pour signaler ta disparition.

Mardi 15 septembre 2009. J'appelle le Dr L. pour lui annoncer ton décès. «Je vais rappeler le service car je suis très déçu et en colère parce que j'ai bien expliqué qu'il était déterminé et que son projet était clair. Je suis déçu par la légèreté de ce médecin...». J'appelle ton psychiatre, le Dr D. «Je vais la rappeler parce que normalement, elle n'aurait pas du le laisser sortir sans m'en avertir. C'est ce qui avait été convenu.»

Décembre 2009. Le Dr L. me suggère de demander ton dossier médical à l'hôpital de SG. Je l'obtiens en février 2010 après moult mails et rappels à la loi. Deux phrases retiennent mon attention «La famille n'était pas d'accord pour l'hospitalisation sous contrainte donc le patient sort à son domicile... », « A l'entretien téléphonique avec sa femme, elle n'est pas d'accord pour l'hospitalisation sous contrainte... »

14 avril 2010

Aujourd'hui, je me suis rendue à mon RDV pour engager une procédure contre le Dr. W.

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Commentaires
Q
Je viens de lire ton post...et j'en suis bouleversee...bouleversee parce que ca me ramene 18 ans en arriere, bouleversee aussi parce que je lis le sentiment de culpabilite qui envahit ces mots,et qui envahissait ma tete aussi, et que je sais aujourd'hui qu'on ne peut rien faire pour empecher l'inevitable...<br /> Une situation tellement difficile a gerer, et ou on est confronte a tout un tas de gens qui ne comprennent rien ou qui nous traitent comme des numeros...<br /> je t'embrasse
A mon prince disparu
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