Faire mal
Hier soir, notre puce ne s’est pas endormie tout de suite. Elle a joué calmement dans sa chambre et semblait partie pour faire une bonne nuit. Puis elle est devenue un peu geignarde cherchant à me faire venir dans sa chambre. Elle a finit par m’appeler et j’ai craint le pire.
- (voix plaintive) Il m’a tapé
- Qui ?
- Lui (Son gros nounours blanc)
- Oui, bon, et puis tu sais…quand quelqu’un te tape, tu lui rends. J’en ai marre de te voir pleurer comme un bébé quand un autre enfant te tape. On te tape : tu tapes…
Je m’enhardis. Je la revois la semaine dernière recevant une tape de ta nièce plus jeune qu’elle et se mettant à pleurer sur place. Je pense à tous ses enfants bien souvent plus jeunes qu’elle et qui se sont permis de la taper, je pense à sa joue marquée par un garçon d’environ 4 ans alors qu’elle même n’avait pas deux ans, je pense à son inertie, à son incapacité à se défendre, à ses larmes, à ma colère rentrée face à ces monstres qui osent la toucher ; à elle qui préfère pleurnicher plutôt que de se défendre. Je lui explique qu’il ne faut jamais se laisser faire et pour qu’elle comprenne bien je donne une énorme tape à son gros nounours blanc. « Tu fais comme ça, regarde…pan ! »
Elle me regarde de ses grands yeux et de sa petite voix elle me dit « Mais, ça va lui faire mal… »
Je n’ai pas pris conscience tout de suite de ma colère qui s’en allait tant la honte m’a submergée. Comment ai-je pu lui tenir un tel discours ? Je sais bien que c’est à moi que je pense quand je la vois recevoir des coups sans réagir. Je pense à moi enfant, je pense à moi adolescente et même à moi plus tard. Recevoir sans pouvoir répondre, donner ou se révolter. Aujourd’hui je ne laisserai plus jamais personne me faire mal ou me parler comme à un chien ou à une moins que rien mais j’ai tellement subi. Souvent ces images du passé me reviennent en mémoire et font monter en moi un énorme sentiment de révolte. Combien de fois m’as-tu surprise marmonnant dans ma barbe, les yeux remplis de haine, prête à frapper n’importe quoi ? Tu me disais d’en parler à ma psy, ce que j’ai fait sans que cela ne change quoi que ce soit. Chaque fois que je vois notre puce recevant une gifle ou une tape, j’ai l’impression que c’est moi qu’on tape, que c’est moi qu’on insulte, qu’on rejette, qu’on méprise. Cela s’appelle de la projection. Je me souviens que je lui avais déjà tenu ce genre de discours extrême: on te frappe, tu frappes. Tu m’avais arrêtée tout de suite. Hier soir c’est elle qui m’a arrêtée. Le problème, c’est que je ne veux pas qu’elle se laisse battre. Je ne veux pas qu’on la tape et je ne veux pas qu’elle se contente de pleurer. Je ne veux pas qu'elle devienne un bouc émissaire. C’est avec toi que je devrais en parler, que je voudrais en parler. Je fais comment maintenant ?