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A mon prince disparu
A mon prince disparu
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3 mai 2010

Un week-end avec Bernie

Notre bouquet de muguet nous a été donné par ta maman. Il sent particulièrement bon parce qu'elle l'a cueilli elle-même dans son jardin.  Notre puce et moi sommes quand même allées en acheter samedi matin. Tous les ans, c'était mon rituel : t'offrir une branche de muguet. Je partais seule le matin et en revenant, je te tendais ces fleurs que j'adore avec la même formule : « Pour mon prince ». Je n’ai jamais su ce que tu pensais de cela. Je pense que tu en avais pris l’habitude et que tu savais que cela me faisait plaisir. Très vite, j’ai associé notre puce à ce rituel. « Allez viens, on va acheter du muguet pour papa ». C’est elle qui choisissait le marchand et la branche à t’offrir. Cette année, nous en avons offert à  nos voisines Louisa et Amélie pour les remercier de s’être occupées de Fidji pendant nos vacances. Elles ont été surprises et touchées.

Bernie devait passer l’après-midi chez nous. Elle y restée le week-end. Elle devait arriver en début d’après-midi. Je me souviens comme ses retards te stressaient. Ils te stressaient d’autant plus que cela a toujours été un sujet de plaisanterie pour elle. Moi, je m’en suis toujours fait une raison. Notre puce et moi sommes allées nous promener et sommes rentrées à 15h30, heure à laquelle Bernie nous a téléphoné pour nous prévenir qu’elle quittait son domicile. Nous sommes allées la chercher à la gare à 17heures, « début d’après-midi africain » comme elle aime à le répéter dans un grand éclat de rire.

Bernie est plus âgée que moi mais nous avons toujours considéré que de nous deux c’était moi la plus âgée. Elle a un don inouï pour se mettre dans des situations incroyables. A la gare, j’ai faillit ne pas la reconnaître. Elle a pris 20 kg qui ne lui vont pas du tout. Bernie s’est arrangé pour se faire licencier il y a deux ans. A la suite de cela elle est partie 9 mois au soleil pour « s’en remettre». A part manger, elle ne fait rien de ses journées et ne sort plus de chez elle. Nous avons passé l’après-midi à papoter pendant que notre puce, ravie, regardait ses DVD. La conversation a tourné essentiellement autour de Bernie. Elle connaît tout de ma vie y compris mes secrets de famille les plus inavouables. Je savais qu’elle n’avait pas eu une vie facile mais ce qu’elle m’a raconté m’a vraiment surprise. Encore mes préjugés. J’étais persuadée que les mères africaines aimaient forcément leurs enfants, que lorsque pour une raison ou pour une autre, elles ne pouvaient pas s’occuper de leur progéniture, elles la confiaient à une cousine ou à une tante, qu’elles s’arrangeaient pour que ce qu’elle ne pouvait pas faire, quelqu’un d’autre puisse le faire. Une forme d’acte d’amour. Tandis que Bernie me racontait son histoire, j’ai découvert que dans certaines familles africaines, des enfants pouvaient aussi ne pas être aimés et être maltraités. D’où est-ce que je tenais cette idée préconçue ? D’une envie de croire que certains êtres humains étaient préservés ? Pourquoi, a-t-il fallu que Bernie me raconte son histoire pour que mes préjugés s’en aillent ? Comme si tous les Hommes n’étaient pas égaux !

Nous avons aussi parlé de ses rapports avec les hommes. Bernie pourrait écrire un livre avec tous les zozos qu’elle a rencontré. Je me souviens de la plupart d’entre eux. Je me souviens même de Franck avec qui elle avait essayé de me caser. Effrayée, j’avais pris la fuite quand j’avais compris le traquenard dans lequel elle avait essayé de me faire tomber….Bernie vient de fêter ses 43 ans. Elle espère rencontrer l’homme de sa vie et avoir un enfant. Pour cela, elle préfère attendre et renoncer aux histoires sans lendemain. Elle préfère même passer le reste de sa vie toute seule plutôt que de revivre ce qu’elle a vécu avec les cas psychosociaux qui ont traversé sa vie. Elle a même renoncé au sexe et cela ne lui manque absolument pas.. Je lui ai dit que moi, j'étais contente de t’avoir rencontré alors que j’étais jeune. Que le bonheur je l’ai connu, que j’en ai apprécié chaque seconde parce que toute ma vie avant toi n’avait été que souffrance. Que moi aussi, j’ai renoncé au sexe. Je repense à la phrase de ARI, « Le sexe ? Seuls ceux qui n'ont rien dans la tête mettent cet aspect de la vie au premier plan ! ». Désormais, je vis pour ma fille. J’admire Bernie de garder espoir à son âge après tous les malheurs et mésaventures qui lui sont arrivés.

L’heure est passée. A 22h30, Bernie a voulu rentrer chez elle. Je lui ai proposé de dormir chez nous. Notre puce mise au lit, nous avons continué nos bavardages. « La vie est belle » m’a-t-elle dit. « Non, la vie n’est pas belle. La vie est une lutte permanente. Dès notre conception, chaque seconde qui passe est une seconde de sursis contre le malheur. Nous passons notre vie à nous protéger contre la maladie, les accidents, ou autres catastrophes. C’est pourquoi, nous avons des assurances, des vaccins, des couvertures,…La vie ce n’est que cela. Une lutte permanente pour survivre. C’est pourquoi, il faut savourer chaque moment de bonheur comme un répit. Le malheur est à côté de nous, un jour c’est sur nous que cela tombe sans que l’on comprenne pourquoi. ». Je pense à toi et à toutes les histoires sordides que j’ai entendues au cours de ma vie. Après avoir essayé de me convaincre du contraire, Bernie finit par concéder, « Oui, c’est vraie la vie est un combat ».

« Dieu est amour »  me dit-elle « Il aime tous les Hommes ». Je lui parle des doutes qui m’ont assaillis la semaine dernière tandis que je me promenais au bord de la rivière. Dieu aime t-il vraiment tous les Hommes ? Comment aime t-Il ? Comment peut-Il nous demander de nous faire du bien les uns aux autres alors que Lui-même nous laisse vivre des choses abominables ? « L’Enfer est ici, sur cette terre. Nous vivons dans un monde de douleur et de souffrance. Regarde ta vie, regarde la mienne, regarde autour de toi. » J'ai des idées noires depuis quelques jours. Aucune des paroles de Bernie n’arrive à me faire changer d’avis.  Elle est une incroyable optimiste. Je suis cynique et regarde ce monde avec résignation. En vain, Bernie essaie de me faire croire à la puissance de la prière, à la nécessité de demander des grâces à Dieu. N’est-ce pas ce que nous avons toujours fait tous les deux, nous adresser à Dieu ? Confier notre mariage et notre fille à Dieu ? La formulation ne devait pas être la bonne car en Lui demandant de prendre soin de toi, Il t’a pris tout entier. J’espère au moins que tu es heureux.

La conversation a dévié sur ta dépression. Encore une fois, Bernie m’a parlé du démon. Comme Mireille, elle pense que j’aurais du te faire faire un exorcisme. « La dépression est une manifestation du Démon. C’est Lui qui donne cette souffrance, ces idées noires. C’est pas des médecins, ou des psys qui auraient pu le guérir. Tu aurais du l’emmener chez des gens qui ont le don de délivrance. Ça l’aurait sauvé… » J’ai l’impression d’entendre Mireille. Pas question cette fois de me laisser ébranler. « Si la dépression est une maladie du démon, le cancer doit en être une aussi…et peut-être même le sida. Faudrait peut-être que les malades fassent des prières de délivrance aussi. Par le passé, il y a aussi eu des choses dangereuses qui ont décimé les hommes, jusqu’à ce qu’on trouve un vaccin contre la rage, les antibiotiques contre la peste ou contre la lèpre…Mais peut-être aurait-il fallu des prières de délivrance ?... »

   Nous avons raccompagné Bernie à la gare à 20h. Elle m’a téléphoné deux heures plus tard pour me remercier du week-end qu’elle venait de passer. Cela lui a donné envie de recommencer à sortir. Je l’ai remercié aussi. C’est la première fois que je reçois chez nous depuis ton décès. Je n’avais pas fait la cuisine depuis longtemps pour quelqu’un d’autre que notre puce. La visite de Bernie m’a montrée que j’étais prête à nouveau à recevoir.

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Commentaires
M
Petit à petit Reine, vous apprécierez de recevoir à nouveau, de cuisiner pour les autres, de faire plaisir.<br /> La souffrance est si violente au début qu'on se referme sur soi, qu'on a envie d'être pris en charge... vous en faites déjà beaucoup avec votre puce. <br /> Prenez du temps pour vous, vous avez le droit de vous écouter et de ne pas vous forcer. <br /> Amicalement.
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