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A mon prince disparu
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6 mai 2010

Apte

Visite médicale annuelle aujourd'hui. J'ai failli oublier bien que j'ai noté le RDV sur mon éphéméride. Cela m'est revenu subitement. Je me suis levée subitement et ai couru dans l'immeuble du cabinet médical en laissant ma collègue hilare.

J'avais RDV à 15h20. Je suis arrivée à l'heure pile. En arrivant, j'ai rencontré une de mes collègues poireautant dans le couloir pour son RDV de 15h. La secrétaire médicale, en toute bonne foi, m'a certifié qu'il n'y avait pas de retard. «Non, non, il y a juste une personne qui attend c'est tout». (Soit. A supposé qu'elle soit arrivé à l'heure, cela fait juste 25 minutes qu'elle attend mais à part cela il n'y a pas de retard) J'ai répondu aux questions de cette dame fort polie au demeurant. Euh, j'ai changé de service, en fait, en fin d'année dernière. Oui, je suis toujours mar..., euh en fait, je suis veuve. Je la vois entourer la case V située à côté des cases M et C. Les questions continuent. Ben, oui, j'ai toujours un seul enfant! Je regarde son doigt. Pas d'alliance. (Veuve? Célibataire? Divorcée, Séparée?)

Je me rends aux toilettes. Je dois uriner dans un bocal. (Non, je ne suis pas ta veuve. Je suis ta femme pour toujours. J'ai signé des papiers à la mairie, à l'église et je n'ai qu'une parole. Je suis et resterai ta femme. Quoiqu'en dise ce monde, je ne serai jamais ta veuve.)

Le médecin m'a fait entrer dans son cabinet à 15h50. Petit bout de femme discrète et charmante sans alliance au doigt. Questionnaire classique. Elle ne me reconnaît pas mais à mon dossier elle sait qu'elle m'a déjà reçue. Pourquoi vous avez changé de service? Juste un besoin de faire autre chose. Nous parlons de choses et d'autres. Je me demande si je vais lui dire que depuis la dernière fois que je l'ai vue, une épreuve terrible m'est tombée dessus. Non, je ne crois pas. Pourtant cela arrive au bout de quelques minutes. Je ne sais plus comment. A une question qu'elle me pose, je lui dis que tu es mort. Elle semble bouleversée mais alors vraiment bouleversée. Je sais à son changement de couleur, à ses yeux qui se baissent, à son empathie, aux ondes qui émanent d'elle, qu'elle a elle-même perdu quelqu'un qui lui était cher. Un amoureux? Un papa? Une maman? Un enfant? Je sais qu'elle a perdu quelqu'un. Elle ne me le dira pas mais la suite de l'entretien me donnera raison. Elle veut savoir les causes de ta mort. Je ne les lui dis pas. Cela m'est impossible. Elle insiste. Je continue à rester évasive. Pour changer de sujet, je dévie sur mes amies qui ont opté pour une «maladie du démon». La déviation fonctionne, elle ne cherche plus à connaître les causes de ta mort. Je réponds à d'autres questions relatives à mon deuil cette fois. Non, je ne prends plus rien pour dormir. Je prends du millepertuis pour tenir. Non, je ne fais pas des crises d'angoisse. Mon angoisse apparaît dans mes cauchemars mais je n'ai pas l'impression d'étouffer. A la manière dont elle décrit les étapes du deuil, dont ses yeux partent au loin, à ses mains qui s'amollissent, je sais. Je sais que mon deuil lui rappelle le sien. «C'est terrible quand ça vous arrive. On se demande pourquoi moi?On perd l'envie de tout. Il faut s'accrocher mais c'est dur, tellement dur» Je lui confirme que c'est exactement ce que je vis. Nous parlons de notre puce. De sa relation avec toi son père, de sa compréhension de la mort. L'entretien s'éternise mais c'est nécessaire pour toutes les deux même si officiellement c'est de moi que l'on parle. Elle me raccompagne jusqu'à la porte. Deux personnes attendent. Ta mort mon prince a aggravé le retard du médecin du travail. Nous nous quittons sans vraiment avoir fini de parler de nos morts, sans avoir dévoilé nos secrets.

Je repars avec mon papier où il est spécifié que je suis «apte» pour mon poste de travail. Pas mal pour une morte vivante.

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Commentaires
J
je ne sais pas souvent quoi dire...la souffrance<br /> est enracinée seul espoir c'est la fleur qui pousse là...la petite puce<br /> courage à vous et vous qui passez là malheureux aussi
M
C'est fou alors que nous sommes complètement démolies, brisées par la souffrance, alors que nous souhaiterions quelquefois être reconnues comme malheureuses, inaptes à la vie "normale", on nous considère apte à nous prendre en charge, apte à nous occuper ne nos proches, apte à travailler... C'est sûr, toutes les personnes touchées par la mort d'un proche ne peuvent pas être reconnues comme inadaptées, fragiles, on ne s'en sortirait pas !<br /> Alors on fait devant les autres comme si de rien était et l'on ravale nos larmes sans ne laisser rien paraitre. La souffrance est solitaire.<br /> Courage Reine, vous n'êtes pas seule.
A mon prince disparu
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