Au jardin d'Acclimatation

Hier, la journée était consacrée à notre puce. Je lui ai simplement dit qu'une surprise l'attendait. Bien entendu, elle a essayé de savoir de quoi il s'agissait mais je n'ai pas cédé. Te souviens-tu comme je te reprochais de ne pas savoir garder les secrets?

9h50 ! J'ai sursauté en regardant ta montre que je porte désormais. Nous devions prendre le bus à 9h53. J'ai expliqué à notre  fille que nous irions à la cave déposer la poubelle à notre retour. Nous avons descendu les escaliers en pressant le pas. Au moment ou nous atteignions la porte de notre immeuble, j'ai aperçu le bus qui passait devant nous. J'ai pris notre fille  dans mes bras et ai piqué un sprint avec mes tongs et notre panier de pique-nique sur le dos. J'ai levé mon bras libre en direction des deux personnes qui s'apprêtaient à monter dans le bus. Elles ont eu l'air de comprendre et ont certainement du expliquer au chauffeur qu'une pauvre mère chargée comme un âne arrivait car le bus nous a attendues. Pendant toute ma course, notre puce très zen dans mes bras , m'encourageait en répétant "Vas-y maman, vas-y maman!". Ouf ! A la station suivante, nous avons rencontré Mimi, la fille de Mireille. Nous avons parlé de son frère Michael qui a rechuté. Je lui ai parlé de toi, de ta maladie, de tes hauts et de tes bas. J'ai dit à Mimi que les personnes qui accompagnent les personnes en souffrance, vivent des moments difficiles et peuvent se sentir impuissants. Mimi m'a parlé de sa mère mais pas d'elle. A presque 20 ans, Mimi se cherche professionnellement. Elle a eu son baccacalauréat Secrétariat avec mention mais sa première année en BTS "Assistante de direction" l'a démotivée. Elle fait aujourd'hui une formation en alternance pour travailler dans une pharmacie. Mimi est une fille très réservée, presque trop inhibée. Il y a quelques temps, Mireille s'inquiétait que sa fille n'ait jamais eu de petit copain. En regardant Mimi descendre du bus, je me suis demandé comment avec un père alcoolique et une frère drogué, on pouvait faire suffisamment confiance à un homme pour vivre quelque chose avec lui. Entre le père que j'ai eu et les hommes qui ont traversé ma vie, moi, j'ai renoncé.

Arrivée sur le marché. Il va falloir que je me fasse à l'idée que désormais, c'est moi qui achèterais des chaussures à notre puce. J'ai trouvé une jolie paire à 20 euros. Je pense qu'elle t'aurait plu. Autre étalage. Notre puce a suffisamment côtoyé ta nièce Chloé depuis ton décès, pour s'être convertie à Hello Kitty. Le vendeur n'a eu aucun mal à lui présenter sa collection de chapeau de soleil. J'ai cédé pour un bob rose à 10 €, à l'effigie du célèbre matou. Pour finir, je lui ai pris des pinces à cheveux pour que tu continues à la trouver belle et pour le fun, je lui acheté un appareil à bulles.

En avant pour la surprise. Arrivée Porte Maillot, c'est la croix et la bannière pour trouver le petit train qui va nous emmener
au jardin d'Acclimatation. Aucune indication nulle part. Notre puce ne savait toujours pas où nous allions. J'ai tenu ferme pour la surprise. J'allais renoncer quand nous sommes tombées sur une famille perdue comme nous. Nous avons sympathisé le temps de notre errance et nous avons fini par tomber sur ce fameux train. Notre puce avait un sourire jusqu'aux oreilles. Après une brève hésitation, j'ai pensé qu'au retour, nous aurions peut-être envie de reprendre ce train. J'ai donc acheté un billet aller-retour et un carnet de billets pour 15 attractions.

Après notre pique-nique, la magie a commencé pour notre fille. Promenade sur la Rivière Enchantée, manèges, sucettes, barbe à papa pour moi, visite dans le coin réservé aux animaux, partie de canne à pêche, ... J'avais apporté son maillot de bain, elle a même pu s'amuser avec les jeux d'eau. Sur les toboggans, j'ai constaté que les autres enfants n'hésitent pas à lui marcher dessus. J'étais là bien sûr pour mettre des limites à ces petits caïds mais je suis bien placée pour savoir que le monde de l'enfance est un jungle.

J'ai pensé à toi bien sûr. Tu aurais souffert de la chaleur et je suis sûre que tu serais en phase dépressive. C'est toujours à cette période que cette fichue maladie faisait son apparition. Ma barbe à papa m'a fait du bien. Voir l'enchantement sur le visage de notre puce m'a apaisée. Et c'est tout. Je me suis dit que je devais profiter de ce que cette vie me donne : la possibilité de faire plaisir à notre fille. Moi, je n'ai plus rien à faire de ce monde mais elle, notre princesse, veut continuer à rire et à rêver alors tant que cette vie m'en donne la possibilité, je lui offre cela. Cette vie se chargera toute seule de la faire souffrir. Elle sait le faire si bien.

En fin d'après-midi, je me suis aperçue qu'il me restait un ticket pour une attraction mais qu'il me manquait un des billets de retour pour le petit train. J'imagine que cela ne doit pas t'étonner? A un moment, j'ai du donner ce billet retour à une des attractions et comme les employés ne vérifient pas...Je me suis consolée en me disant qu'il me suffirait de racheter un autre billet et que notre fille profiterait d'une attraction en plus. Notre puce me tannait pour avoir un énorme ballon. Comme je lui avais promis, je le lui ai acheté juste avant de quitter le jardin. Elle a choisi un zèbre ce qui ne m'a pas étonnée, comme beaucoup de petits de son âge, elle adore les animaux.

Au retour, j'étais sur les rotules. Fatiguée, épuisée, éreintée. La chaleur écrasante, le vide, l'indifférence au monde, tout cela m'a cassée. Pour que la journée soit complète, notre puce a eu droit à son plat préféré : pâtes et saucisses. Après le passage par la salle de bain, nous étions au lit à 20h30. Autant j'étais fatiguée, autant notre puce était excitée comme une puce. C'est elle qui m'a raconté une histoire et je crois que je me suis endormie avant elle.