Et si...?
Je suis sûre de t'en avoir parlé. Notre amie Mireille m'avait invitée à me rendre à un «groupe de prière» dont la particularité était de «délivrer» certaines personnes éprouvées. Elle n'avait pas précisé de quel(s) type(s) d'épreuve(s) souffraient les personnes concernées mais la description qu'elle m'avait faite de personnes s'évanouissant ou se mettant brusquement à éructer certaines paroles à thèmes mystiques, m'avait dissuadée de participer à ce genre de réunions. Pour me rassurer, elle avait rajouté avec un gentil sourire que ces séances étaient suivies d'une messe.
Quelques temps après ton décès, elle m'avait reparlé de ces réunions en me disant d'un air de reproche «Tu vois, je t'avais dit de venir. Il y a plein de délivrances qui ont lieu. Les gens viennent témoigner de tout ce qui leur est arrivé dans leur vie. Ils ont tous été guéris...et blablabla, et blablabla...». Elle m'expliquait en fait que si je t'avais emmené ou si je m'étais rendue même seule à ces réunions, tu serais encore vivant. Abasourdie, je m'étais contentée de lui répondre que tu aurais refusé de participer à ce type de manifestations.
Mireille a deux enfants. Winnie, une fille de 20 ans a pendant un temps été la babysitter de notre fille. Nous avions appris un beau jour, au hasard d'une conversation qu'elle avait aussi un fils. Comprenant que c'était un sujet tabou, nous n'avions posé aucune question. Mickaël, le fils de Mireille a 30 ans. Il a été hospitalisé à maintes reprises dans des hôpitaux psychiatriques, suite à des comportements pathologiques dus à une forte consommation de drogue. La semaine qui a suivi tes funérailles, Mireille a accueilli son fils chez elle malgré les réticences de Winnie. Je l'ai croisé à la messe où Mireille le traine. Il a toujours été poli et a même fini par se laisser séduire par notre puce. Un moment, il avait retrouvé ses «amis» m'avait dit Mireille et il retournait les voir quand le «besoin» s'en faisait sentir. «En tout cas, je prie pour lui, je n'arrête pas de prier pour lui».
Hier, en nous rendant à la messe, notre puce et moi avons croisé un Mickaël tout sourire et le visage rayonnant. «Je ne vais pas à la messe, je vais voir un match de foot. Hier j'étais à l'Assemblée charismatique». Arrivée à l'église, j'ai dit à Mireille que j'avais trouvé son fils transformé, «en bonne forme». A peine avais-je fini de parler que j'ai pressenti ce qui allait suivre. Le même topo sur les «délivrances», l'éloignement du Mal, et ton suicide qui aurait pu être évité si je t'avais emmené à ces réunions, si j'avais prié pour toi, «MAIS JE N'AI PAS ARRETE DE PRIER POUR LUI !», et que si tu avais eu la foi, «IL AVAIT LA FOI !», et qu'il ne faut jamais s'arrêter de prier, et qu'il ne faut jamais se désespérer,...Franchement énervée avant même que l'office ne commence, j'ai fini par lui lâcher : ÉCOUTE MIREILLE, TU VAS MOURIR. PEUT-ÊTRE CE SOIR, PEUT ÊTRE DEMAIN, PEUT ÊTRE DANS 50 ANS MAIS DE TOUTES LES FAÇONS, TU VAS MOURIR TOI AUSSI. TU POURRAS FAIRE TOUTES LES PRIÈRES DE DÉLIVRANCE QUE TU VEUX, TU MOURRAS...OUI, IL EXISTE DES RÉMISSIONS POUR CERTAINES MALADIES, IL ARRIVE QUE DES MIRACLES SE PRODUISENT MAIS PARFOIS, IL Y A DES CHOSES QUI T'ÉCHAPPENT, QUI ÉCHAPPE À LA MÉDECINE ET TU AURAS BEAU FAIRE CE QUI DOIT ARRIVER, ARRIVE. QUAND LA MORT DOIT FRAPPER, ELLE FRAPPE! Résultat : chacune de nous est restée campée sur ses positions.
En repartant, nous avons parlé de choses et d'autres. Quand j'ai quitté Mireille, j'ai repensé au visage rayonnant de son fils. J'ai revu tes yeux et ton sourire tristes sur le seuil de la porte, la dernière fois où je t'ai vu vivant. La main dans celle de notre puce, j'ai senti une angoisse teintée de culpabilité monter en moi tandis qu'une question commençait à naître: Et si...?