Obsession

Nous sommes allées manger chez ton cousin François. Sa femme et lui étaient en voyage en Afrique lorsque tu as pris ta décision. Ils n'ont appris ta mort qu'à leur retour. Leurs filles, tes petites cousines qui étaient présentes  lors de tes obsèques, ne leur ont rien dit avant. Elles voulaient qu'ils profitent de leur voyage avant de leur annoncer la nouvelle.  Elles ont eu raison.

Belle journée agréable. Leurs photos de vacances sont magnifiques. Leurs filles sont belles et sages. Des étudiantes avec des soucis de leur âge : inquiétude quant à leur avenir, rupture sentimentale, envie de refaire le monde. Ton cousin se pose des questions propres à un père. Il s'inquiète un peu pour elles.

Moi, au milieu, je joue mon rôle. Je parle de notre puce. De son intégration à l'école, de son retour chez Nounou. Je parle du boulot, de cet automne qui me semble doux par rapport à d'autres années. Comme d'habitude, c'est moi la première qui cite ton nom. Je parle de ce que tu aimais. Je parle de nous deux, de nous trois. Je ne m'attarde pas. Cela vient naturellement dans la conversation. Je ne pleure pas. Je parle comme je raconte une histoire. Je suis sûre qu'ils doivent se demander comment je fais. Ils doivent même me trouver très courageuse.

La vérité c'est que je suis hantée par l'idée de ma propre mort. Rassure toi, je ne pense plus à passer à l'acte. Il y a notre puce et je t'ai fait la promesse, le jour de tes obsèques, de prendre soin d'elle jusqu'au bout. Je vis simplement avec la certitude que moi aussi je vais mourir et malgré tout l'amour que j'ai pour notre notre puce, j'attends ce jour avec impatience. Je me couche tous les soirs en me disant que ce jour qui finit est un jour en moins à passer sur cette terre. Cela me met en joie. Je ne vis que dans l'attente de ce jour. Bien sûr, je fais tout pour que notre puce ne ressente rien. Je ris avec elle, fais des projets, nous nous faisons belles chaque matin pour commencer la journée. Je ne veux pas lui communiquer mon désintérêt pour la vie. Je fais attention car les enfants sentent tout .

Tout le monde était impressionné par la vie que nous menions. En couple avec un enfant, tous les deux salariés, nous trouvions le moyen d'avoir en plus des activités personnelles. Fan de cinéma, je voyais environ 3 à 4 films par mois. Je suis incapable de citer le nom d'un film sorti depuis ton décès. Nous étions de grands lecteurs, 40 à 50 livres par an chacun. J'arrive à peine à lire. Bien entendu, je ne me suis pas réinscrite à mon cours de danse. C'est fini, plus rien ne m'intéresse sur cette terre.

Si, une chose. Savoir ce qui se passe après la mort. C'est une véritable obsession. Suis-je en train de perdre la tête?

Comments

[Ta Reine]

Fait-on encore vraiment partie du monde des vivants? Quand je regarde le site de Bernadette, je me dis que certaines personnes peuvent continuer et même recommencer. Pour ma part, cela est différent. Mon mari m'a tuée. Une partie de moi est enterrée avec lui. L'autre se trouve dans l'amour que je porte à ma fille et m'oblige à subir cette vie. J'ai le devoir de faire croire à ma puce que la vie est belle. Je fais des gâteaux mais n'en mange pas. Nous rions ensemble mais mon cœur saigne. Je lui fais des programmes pour le week-end mais je compte chaque minute comme un pas vers mon mari. Non, je ne fais plus partie du monde des vivants. J'adore ma fille mais un jour il faudra qu'elle vive sa propre vie et je devrai être moins présente. Ma vie est avec mon mari. S'il était vivant, je serai vivante aussi.
Cela me fait du bien que vous me compreniez comme je vous comprends.

[Minoc]

Non vous ne perdez pas la tête, toutes ces questions sont normales, elles m'obsèdent encore moi aussi... quant à votre désintérêt pour tout je le connais aussi, impossible de s'évader, de trouver du plaisir.
Fait-on encore vraiment partie du monde des vivants ???
Gardez courage, votre fille est là, elle vous apportera de la satisfaction même si ce n'est pas simple tous les jours.Je pense à vous.