Quoiqu'il arrive
Même t’écrire me parait une épreuve. Pourquoi ai-je créé ce blog ? Une impulsion subite, un soir d’insomnie. A quoi cela sert-il si ce n’est à répéter inlassablement les mêmes choses ? T’écrire tous les jours que ma vie est devenue un enfer depuis que tu es parti, que la violence de ta mort me fait faire des cauchemars, que je souffre pour notre fille qui grandira sans toi, que me coucher seule dans notre lit est une épreuve, que rêver de toi me fait mal quand je me réveille, que je dois faire un effort pour me lever le matin, d'autres efforts pour tenir à chaque fois une heure de plus, pour sourire, plaisanter, faire les courses, manger. Chaque jour est un combat. Je me lasse de t'écrire sans arrêt les mêmes choses.
Je m’accroche à la religion comme à une bouée de sauvetage. Cela fait des semaines que je ne suis pas allée à la messe. Pour l’instant, Guy Gilbert et Radio Notre-Dame me donnent de l’Espérance. Je veux croire que tu es vivant et que tu as déposé ton fardeau. Je veux croire qu’il y’a un Dieu d’amour pour les désespérés comme moi. Malheureusement, cette Espérance commence à s’épuiser aussi. Si le monde est tellement meilleur là où tu es, pourquoi resterai-je dans celui-là ?
Ras le bol des injonctions morales et
culpabilisantes du
type « De toutes façons, t’as pas le droit de craquer », « Il
faut que tu tiennes, t’as pas le choix ». Prenez donc ma place et
vous
viendrez me lire mes droits ensuite. Quel juge pour enfant me mettra en
prison
parce que je suis à bout ? Quel psy osera dire que je suis coupable de
m’effondrer
après le suicide d’un proche ? J’ai prévenu la galerie que je me
reconnaissais le droit d’être faible et de pleurer même devant ma
fille. Je leur
ai expliqué que je n’étais pas un robot et que me blinder, faire comme
si il ne
s’était rien passé, était encore plus dangereux psychologiquement que de
vivre
mon deuil pleinement. Dangereux pour moi et aussi pour ma puce. Par
conséquent,
je ne veux plus entendre d’idioties.
Il n’y a rien de plus égoïste que de faire un enfant. Nous
nous sommes fait plaisir toi et moi en ayant notre puce. Était-ce un cadeau à lui
faire
que de la faire venir dans ce monde ? Quoiqu’il arrive, elle connaîtra
la
souffrance et le manque parce que c’est notre lot à tous, pauvres
mortels. Quand je
la regarde, je me demande ce que la vie va encore lui réserver.
Combien de
fois a-t-elle dit à qui voulait l’entendre « Moi, mon papa, il est
mort » ?
Elle connaît bien le regard gêné des adultes et le silence qui va
suivre lorsqu’elle
lâche cette phrase. Elle n’a pas encore compris ce que représente ton
cercueil
mais elle sait que dire que tu es mort est comme lâcher une bombe.
Qui y a t-il d’intéressant dans cette vie ? L’Homme passe son temps à essayer d’oublier que de toutes les façons il va mourir. Il occupe son temps avec des illusions de bonheur. Ce que, moi-même, j’ai fait durant des années : danse, cinéma, lecture, …L'Homme remplit aussi sa journée en emmerdant les autres : chercher des querelles, se battre, faire du mal, médire. Le sadisme est en l’Homme parce qu’il faut bien qu’Il se croit immortel. Le meilleur mécanisme de défense que l’Homme ait trouvé pour oublier qu’Il va mourir est de se croire tout puissant. Je possède des biens matériels, j’ai du pouvoir, je peux te détruire, te faire souffrir. A côté de cela, d’autres Hommes de bonne volonté essaient de soulager tant bien que mal la souffrance qui frappe à toutes les portes. Au final, nous avons tous une boite en pin ou en chêne qui nous attend. Nous redeviendrons tous poussière. Alors maintenant ou plus tard, quelle importance ?