Confession

J'ai longtemps hésité à t'écrire aujourd'hui mais tu me connais j'ai toujours eu besoin de passer par l'écrit dès que quelque chose me pèse.

J'ai fait un horrible cauchemar cette nuit. J'ai rêvé que je descendais des escaliers avec ma sœur Karen à mes côtés. Derrière nous, se trouvaient les chanteurs du groupe ABBA (je devine que cela doit te faire rire). Dans mon rêve, ma sœur, malencontreusement,  trébuche et  fait tomber la guitare d'un des musiciens et elle s'abime. Très en colère, il donne à Karen un coup de pied qui lui brise la cheville. Elle se met à pleurer et s'appuie sur mon bras pour se maintenir debout. Estomaquée, je lui dit qu'il s'agit d'un accident et qu'elle n'a jamais voulu endommager son instrument. En guise de réponse, il lui donne un deuxième coup de pied qui l'a fait hurler de douleur. Mon cœur est rempli d'une souffrance indescriptible. Je ne comprends pas pourquoi un tel déchainement de violence. Pour terminer, il lui brise le poignet d'un seul tour de main. Et je me réveille brusquement.

En un éclair, j'ai compris le sens de mon rêve. Le chanteur agressif est cet homme qui s'est rendu au commissariat de police pour se plaindre de moi. Si j'ai abimé sa voiture c'est sans aucune volonté de ma part et j'ai peur qu'il me fasse mal. A demi éveillée, je me suis dit que c'était le moment. Cette vie m'est insupportable. Je ne suis pas faite pour elle. J'ai eu l'intuition que comme toi, je devais passer à l'acte. Puis, je me suis réveillée complètement et j'ai entendu le souffle de notre puce qui dormait près de moi.

Il était 4h25 ce matin. Je me suis levée et ai appelée Suicide Ecoute. Je les avais appelés en décembre mais la ligne était sans arrêt occupée. Un homme d'un certain âge a décroché. Je lui ai raconté mon histoire et mon désir de mourir à l'instant même. L'appel a duré moins de 10 minutes. J'ai eu l'impression d'avoir à faire à Thierry Lhermitte dans Le Père Noël est une ordure. Il a tout juste été capable de me dire «oui, oui» comme il aurait pu dire «C'est cela, oui, c'est cela». Je parlais de moi pour combler le silence mais je n'avais aucun répondant en face. Je me suis excusée de le déranger. Il s'est alors senti obligé de me parler de notre puce mais pour dire une c....

Une impulsion subite m'a fait appeler SOS Amitié. Une femme à la voix agréable m'a répondu. Elle ne m'a donné aucun conseil mais m'a simplement écoutée. Puis nous avons dialogué. Je lui ai parlé des circonstances de ton décès. Elle a entendu le vide laissé par ton absence. En lui parlant, je me suis rappelée que nous étions le 14. Aucun rapport avec la St Valentin que nous n'avons jamais fêtée. Aujourd'hui, cela fait exactement 6 mois que la sentence est tombée. Une demi-année que ton corps a été retrouvé. Encore 6 mois et cela fera un an! Cette écoutante a gagné ma confiance et a réussi à me faire avouer que effectivement, j'avais déjà pensé à la manière dont je passerai à l'acte «de manière à ne pas me rater». «Il y'a beaucoup de suicides qui ratent vous savez.», «Il y'en a aussi beaucoup qui réussissent. Au niveau des statistiques sur les causes du décès, le suicide occupe la première place pour certaines tranches d'âge. Je suis bien placée pour savoir qu'il y'en a qui réussissent». Elle m'a dit que de par son expérience personnelle, elle savait qu'on n'oublie pas la mort d'un proche mais qu'on finissait par s'habituer à l'absence de l'autre. Je ne sais pas comment on peut «s'habituer» à l'absence d'un être qu'on a tellement aimé. Elle m'a parlé du temps. Pour moi, le temps est un homme incompris par tous, courbé sous le poids d'une charge trop lourde pour son corps martyrisé et qui est tenu de marcher jusqu'au bout sur le chemin qu'on lui a tracé. Je ne lui ai pas dit que j'ai déjà créé un fichier avec les coordonnées des personnes à appeler au moment de mon décès. Je ne lui ai pas dit que j'avais déjà pensé aux lettres que j'allais écrire à nos proches. Toi, tu n'as laissé aucun mot et c'est terrible pour ceux qui restent. La conversation a duré 45 minutes. J'étais épuisée mais apaisée. Je l'ai remerciée. J'aimerais bien lui parler à nouveau.

De retour dans notre lit, je me suis collée contre notre puce qui dormait profondément. J'ai surpris l'odeur de son shampoing d'enfant.  Je l'ai respiré et cela m'a fait du bien. A trois ans, elle a encore son odeur de bébé. J'ai senti ta présence derrière moi. Je me suis laissée aller en ressentant la chaleur de tes bras autour de moi. Allongée entre vous deux, j'étais bien, pour la première fois depuis longtemps. J'ai dormi jusqu'à ce que notre puce me réveille.

Comments

[Ta Reine]

Je n'ai pas toujours l'énergie pour répondre personnellement à chacun d'entre vous. Sachez toutefois que je lis toujours attentivement chacun de vos messages. Ils me font du bien et font aussi leur chemin en moi. Je ne pense pas toujours à demander de vos nouvelles mais j'ai visité tous vos blogs. J'y laisserai volontiers un message à l'occasion. Je vous envoie mes meilleures pensées.

[Minoc]

On ne s'habitue pas à l'absence,on "l'apprivoise", on vit avec.
Ma douloureuse expérience, me permet de vous dire que la première année est insupportable, chargée en références à l'année qui a précédé leur départ. Il faut sans cesse tenir la tête hors de l'eau car l'envie de se laisser couler est toujours présente.
Ensuite ce n'est pas facile non plus mais il y aura des jours meilleurs... pensez à votre fille, vous n'êtes pas seule Reine, on vous aime.

[lalila]

Des mots qui font peur, mais tellement emprunts de sincérité. Vivez pour vous, vivez pour elle mais VIVEZ.

[jany]

...je ne vais pas répéter ce que vous avez tant entendu...je vous trouve lucide et avec les bons gestes, juste garder vos vies en vie, un devoir au delà de la souffrance (je le dis avec beaucoup de douceur...et fermeté)