Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
A mon prince disparu
A mon prince disparu
Derniers commentaires
9 mai 2010

Derrière le masque

Vendredi soir. Je suis arrivée la dernière chez Nounou pour aller chercher notre puce. En cette veille de week-end, les autres enfants étaient partis depuis longtemps. Tonton Ali, l'un des nombreux enfants de Nounou était présent. C'est le chouchou de notre puce. Il va la chercher à l'école lorsqu'il est en visite chez sa mère, la fait jouer, la sermonne, bref il joue ton rôle. C'est un homme dynamique, papa lui aussi, et qui adore les enfants.

Nounou et tonton Ali étaient particulièrement tristes. Nounou a perdu son mari il y a 10 ans des suites d'une opération pourtant bénigne. Sa belle-mère est décédée il y a environ un mois et hier, toute la famille a appris que l'un de s es fils, un des beaux-frères de Nounou, a été  récemment retrouvé mort chez lui, alors que le décès remontait à quelques jours. Personne n'a pu le voir car le corps était en décomposition. Je leur dis que moi non plus, je ne t'ai pas revu. La dernière fois que je t'ai vu, c'était sur le seuil de notre porte. Notre baiser était un baiser d'adieu et je ne le savais pas. Leurs yeux, le ton de leur voix, les ondes qui se dégagent...Je suis en terrain connu. La conversation dévie sur la mort en général, la perte, le sentiment d'abandon, … Nous parlons de toi. Ils se souviennent...Ta joie à retrouver notre puce après ta journée de travail, ta gentillesse, ta discrétion,...«Même, les voisines, elles en parlent encore tellement il était gentil. C'était un Saint!...» Nounou n'a jamais eu le sens de la nuance mais ses paroles me font du bien. «Gentil». Tu détestais ce mot pourtant c'est ce qui te caractérisait et c'est ce que tout le monde a retenu de toi. Peu à peu la conversation a glissé vers le mari de Nounou. J'ai écouté sagement l'histoire qu'elle m'a déjà  racontée. Elle était en vacances en Algérie. Son mari est resté en France et ne lui a pas dit qu'il devait subir une intervention chirurgicale. C'est l'un de ses fils qui lui a appris la nouvelle au téléphone. Pour la première fois, tonton Ali me parle de la mort de son père. Lui savait. Il savait que son père allait être opéré mais celui-ci lui avait demandé de garder le secret. C'était son père et il lui a toujours obéi. Comment aurait-il pu savoir?  Son père lui répétait qu'il n'en réchapperait pas mais lui prenait ses discours par dessus l'épaule. C'était une opération bénigne. Il avait survécu à des choses beaucoup plus graves. Il avait promis de ne rien dire. Il n'a rien dit. Je lui ai parlé de ma culpabilité par rapport à toi. «Si j'avais su...je n'aurais pas..., j'aurai...» Est-ce que tout le monde se répète cette même phrase dès que quelqu'un meurt? Est-ce que tous, nous avons le sentiment que nous aurions pu éviter le drame fatal? Nous sommes capables de dire aux autres qu'ils ne sont coupables de rien mais pour nous-même, cela est différent.

Dimanche matin. Nous retrouvons Mireille à la messe. «Agneau de Dieu qui enlève le pêché du monde, donne-nous la paix». Alors que je chante avec les autres, ces paroles me touchent en plein cœur. «Enlever le pêché du monde», «Donne-nous la paix». Je ne me contente plus de chanter, je prie le Seigneur, je le supplie de nous donner la paix. Et mon chant se transforme en cri étouffé. S'en est trop, je fonds en larmes. Ni ma puce, ni Mireille placées à mes côté ne s'aperçoivent de rien. Lorsque nous quittons l'église, je suis sereine et en pleine forme. Mireille et moi devisons tandis que nous retournons lentement à notre domicile. Le temps qu'il fait, les vacances de Pâques, le rangement de tes papiers.

Je disais à Mimi, je me demande comment elle fait Reine. Ça doit être dur pour toi de ranger ses papiers?

Non. C'est comme quand je vais sur sa tombe. Pour moi, il est vivant. Sa vie ne s'est pas arrêtée dans son cercueil. Je suis persuadée qu'il vit encore et je lui parle. Parfois, je sens sa présence.

Je lui demande des nouvelles de son fils. Elle hésite, les mots lui manquent. Je devine que la situation n'est pas aussi belle que la dernière fois. Elle bafouille mais je comprends que Michaël a repris contact avec ses mauvaises relations, qu'il a recommencé à boire et à se droguer. J'essaie de comprendre en évitant d'être intrusive ou indiscrète mais Mireille a besoin de parler. Alors elle me raconte. Son fils lui a avoué un jour que son malaise date de l'époque où il avait 10 ans, au moment où ses parents se sont séparés. Il a commencé à se droguer à l'adolescence pour fuir sa souffrance. Les drogues sont devenues de plus en plus dures ce qui a permis à Mireille de se rendre compte que son fils allait mal. «Il est devenu rasta, ne se lavait pas, était sale. Il passait ses journées à ne rien faire. Il voyait un psychiatre qui lui donnait un traitement mais bon...»Les hospitalisations se sont enchaînées avec les sorties et les rechutes.

Ton histoire, mon prince est différente mais je m'identifie à mon amie. Le sentiment d'impuissance, le découragement, le désir d'aider. Un temps Mireille avait laissé Michaël chez son père. Mais ce dernier ayant lui-même des problèmes d'alcoolisme, elle a repris son fils chez elle contre l'avis de sa fille Mimi âgée de 20 ans. A 30 ans, Michaël ne travaille pas, n'a aucun projet, traîne toute la journée et rentre le soir éméché. Tandis qu'elle parle, Mireille se met à pleurer. C'est la première fois que je la vois craquer. «Je demande à Dieu de me donner du courage. Mais c'est dur, c'est dur...» Je sais. Je connais les appels à l'aide, le désespoir, le découragement, cette pulsion qui pousse à continuer à prier et à demander de l'aide alors que l'on se trouve au fond d'un puits noir. Je sais Mireille, je sais. Elle me quitte pour aller porter la communion à une dame malade. Son visage est souriant et serein. Je devine que la dame ne verra rien, ne devinera rien du drame que vit Mireille. Pas de Malin mais la séparation d'un couple qui a entrainé le mal de vivre du fils ainé.  Quant aux «prières de délivrance», elle semblent avoir perdu leurs effets magiques.

Moi aussi, comme les autres, je porte un masque. Je le porte pour ma fille, devant les collègues, devant les voisins, les amis et même devant ma belle-famille. Mais je suis désabusée. Ce monde n'est que souffrance.

 

Publicité
Commentaires
A mon prince disparu
Publicité
Archives
Publicité