Ce sentiment

J’aime me rendre au secrétariat après le déjeuner. J'y sirote ma tasse de thé en compagnie d’une des secrétaires. Fabienne est beaucoup plus âgée que moi. Je l’ai connue à mon arrivée dans l’entreprise, le mois qui a précédé notre mariage. Elle m’a connue fébrile, angoissée, nerveuse, rayonnante. Elle m’a vue revenir radieuse de notre voyage de noces. Je la revois taper des mains, un grand sourire aux lèvres lorsque je lui ai annoncé que nous allions être parents. Elle m’a vu planer dans les cieux au fur et à mesure que mon ventre s’arrondissait. Elle est la seule que j’ai convié à tes obsèques, la seule qui connaisse les circonstances de ton décès.

Hier, Fabienne m’a montré un courrier qu’elle a reçu. Nous avons éclaté de rire face au contenu et au style, tous deux donnant lieu à des interprétations plus qu’osées. Tandis que je riais aux éclats, l’idée m’a traversé l’esprit d’en faire une photocopie, pour te la montrer le soir même, quand…

Oui, c’est vrai, tu n’es plus là. J'avais oublié que je ne partagerai plus rien avec toi. Il n y a plus personne avec qui je peux converser, débattre, débiter des grivoiseries,…Comment ai-je pu l'oublier alors que tu es mort depuis six mois? Le soir quand je rentre, je retrouve Barbapapa, Samsam, Petit Ours brun, Tchoupi et depuis peu Duduche l'autruche. Fini le temps pour moi, le temps pour toi, le temps pour nous deux. Je suis seule dans mon monde.

Je connais ce sentiment. Je l’ai vécu enfant quand je me réfugiai dans mes rêves. J’y invitais les amies que je m'étais créées. Je les recevais dans ma maison de rêve . Elles y venaient pour mon anniversaire ou pour un goûter préparé par la plus tendre et la plus douce des mamans. Je l’ai vécu adolescente, incapable de tisser des liens avec qui que ce soit, le silence sur ce qui se passait à la maison étant la règle. Je l’ai vécu en vivant avec un psychopathe, quand mon ventre se serrait en entendant ses pas dans l’escalier et le bruit de sa clé dans la serrure. Je le vis chaque soir quand je referme la porte de la chambre de notre puce. Je me retrouve alors seule avec ma douleur. Tout est redevenu comme avant. 8 ans de répit. 8 ans de bonheur avec toi. Je n’avais pas oublié la tristesse et la douleur mais je croyais que c’était fini. J’espérais ne plus jamais connaître cela. J’avais oublié que j’étais née pour le malheur. Parfois, je me dis que ta mort est presque logique puisque je suis née pour souffrir. Quel est le crime que j’ai commis ? Je n’en sais rien. Je le saurai peut-être un jour quand je t’aurais rejoint. Le sais-tu toi ? Sais-tu pourquoi nous avons été séparés ? Pourquoi tu es venu apporter la lumière dans ma vie pour me l’enlever aussitôt ? Pourquoi la souffrance doit être mon quotidien ? Est-ce que cela s’arrêtera quand je passerai de l’autre côté ou bien d’autres épreuves m’attendent-elles là-bas?

Comments

[AlexandraToday]

Ton cheminement intérieur me touche, mais il n'y a ni fatalité aux évènements que l'on vit, ni responsabilité de ta part. Il faut que tu t'en persuades.
Peut-être connais-tu cette phrase d'Oprah Winfrey : « Je vous dirai que je n'ai jamais eu d'échecs dans ma vie. Il n'y a pas eu d'échecs. Il y a eu des leçons épouvantables.»
Cette phrase si positive alors qu'elle a connu vraisemblablement le pire, comme toi, me sidère toujours.

[blinder]

gardes le dans ton coeur mais rebondis. En lisant ces quelques lignes j'ai eu les larmes tant ta tristesse est grande..